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JULES VERNE

Immobiles, ils gardaient le silence, afin de ne point effrayer ledit quadrumane. Si l’on parvenait à s’en emparer, eh bien, malgré la répugnance manifestée par Max Huber et John Cort pour la chair simienne... Il est vrai, faute de feu, comment la griller ou la rôtir ?... Cependant l’animal s’approchait et, à la vue des trois hommes, ne témoignait aucune surprise. Il gagnait de leur côté, marchant comme un être humain, sur ses pattes de derrière, et il s’arrêta à quelques pas. Quelle fut la stupéfaction de John Cort et de Max Huber, lorsqu’ils reconnurent ce petit que Llanga avait sauvé, le protégé du jeune indigène !... Et ces mots de s’échanger : « Lui... c’est lui... — Positivement... — Mais alors, puisque ce petit est ici, pour­ quoi Llanga n’v serait-il pas ?... — Êtes-vous sûrs de ne pas vous tromper ?... demanda alors le foreloper. — Sûrs, affirma John Cort, et, d’ailleurs, nous allons bien voir ! » Il tira de sa poche la médaille enlevée au cou du petit, et, la tenant par le cordon, la balança comme un objet que l’on présente aux yeux d’un enfant pour l’attirer. A peine celui-ci eut-il aperçu la médaille, qu’il se rapprocha d’un bond. 11 n’était plus malade, assurément ! Pendant trois jours d’ab­ sence, il avait recouvré la santé et, en même temps, sa souplesse naturelle. Aussi s’élançat-il sur John Cort avec l’évidente intention de lui reprendre son bien. Khamis le saisit au passage, et alors ce ne fut plus le mot « ngora » qui s’échappa de sa bouche, ce furent ces mots nettement arti­ culés : « Li-Mai !... Ngala... ngala !... » Ce que signifiaient ces mots d’une langue inconnue même à Khamis, ses compagnons et lui n’eurent pas le temps de se le demander. Brusquement apparurent d’autres êtres, de haute taille ceux-là, ne mesurant pas moins de cinq pieds et demi des talons à la nuque. Khamis, John Cort et Max lluber n’avaient •pu reconnaître s’ils avaient affaire à des

hommes ou à des quadrumanes. Résister à ces sylvestres de la grande forêt au nombre d’une douzaine eût été inutile. Le foreloper, Max Huber, John Cort furent appréhendés, saisis par les bras, poussés en avant, con­ traints à s’acheminer entre les arbres, entou­ rés de la bande, et ils ne s’arrêtèrent qu’a près un parcours de cinq à six cents mètres. A cet endroit, l’inclinaison de deux arbres, assez rapprochés l’un de l’autre, avait permis d’y fixer des branches transversales, disposées comme des marches. Si ce n’était pas un escalier, c’était mieux qu’une échelle, cepen­ dant. Cinq ou six individus de l’escorte y grim­ pèrent lentement, tandis que les autres obli­ geaient leurs prisonniers à les suivre, sans les brutaliser toutefois. A mesure que l’on s’élevait, la lumière pénétrait à travers les frondaisons. Par les interstices filtraient quelques rayons de ce soleil dont Khamis et ses compagnons avaient été privés complètement depuis qu’ils avaient quitté le cours du rio Johausen. Max Huber aurait été de mauvaise foi s’il se fut refusé à convenir que, décidément, cela rentrait dans la catégorie des choses extra­ ordinaires. Lorsque l’ascension prit fin, à une centaine de pieds environ du sol, quelle fut leur sur­ prise en voyant se développer devant eux, sous la partie supérieure des arbres, une plate-forme largement éclairée par la lumière du ciel ! Au-dessus s’arrondissaient des cimes verdoyantes. A sa surface étaient rangées dans un certain ordre des cases de pisé jaune et de feuillage, bordant des rues, le tout for­ mant un village établi sur une étendue telle qu’on ne pouvait en apercevoir les limites. Là allaient et venaient une foule de types semblables à celui du protégé de Llanga. Leur station, identique à celle de l’homme, indi­ quait qu’ils avaient l’habitude de marcher debout, ayant ainsi droit à ce qualificatif d’erectus, donné par le docteur Eugène Dubois aux pithécanthropus trouvés dans les forêts de Java et qu’il regarde comme l’un des carac­ tères anthropogéniques les plus importants de l’intermédiaire entre l’homme et les singes