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ANDRÉ LAURIE

prouve que tu sens la valeur de celui qui est le chef ici, dit Mme Massey d’une voix où l’on sentait le respect, la vénération la plus profonde. J’ai une absolue confiance en son jugement, et s’il t’adopte pour sa fille, c’est que tu en es digne : je ne sais pas une louange au-dessus de celle-là…

— Nous voilà d’accord tous les trois, reprit Lina avec un mélange d’espièglerie et d’inquiétude. C’est fort bien ! Mais ne vous semble-t-il pas, maman, que nous disposons un peu bien cavalièrement de… du principal intéressé ? Qui nous dit que Gérard souscrira à ces projets ?…

— Gérard ! fit Mme Massey à son tour malicieuse. Je n’ai pas prononcé son nom. Qu’est-ce qui te fait croire que je ne parlais pas de Henry ?

— Oh ! je suis parfaitement sure que Henry ne songe nullement à m’épouser, prononça Lina sans hésitation.

— Tu vois bien, petite masque ! Oserais-tu me soutenir en face la même chose de ton Gérard ?… Mais d’ailleurs, ma mignonne, je ne veux pas qu’il y ait entre vous de malentendu. Gérard compte demander ta main à ton excellent père à son retour de Prétoria et c’est appuyé de notre plus joyeuse, notre plus complète adhésion qu’il fera cette démarche.

— Mère !… dit Lina, prenant la main de Mme Massey et la baisant avec amour et respect. Que vous êtes bonne ! Combien vous avez l’art de rehausser même les plus hautes faveurs par la manière de les conférer. Qui suis-je, pauvre petite enfant sans importance, pour être accueillie si généreusement par des personnes telles que vous ?

— Tu es ma consolation et ma joie…

— Eh bien, reprit Lina avec résolution, faisons un pacte. J’accepte tout de vous, mais il me faut une promesse : c’est que, désormais, vous vous reposerez sur moi ; que vous me permettrez de porter le fardeau de vos fatigues, de vos douleurs, des infirmités possibles… que jamais vous ne me tairez vos peines ou ne craindrez d’user de mes yeux, de mes mains, de mon temps !… que vous me laisserez agir, penser, peiner, souffrir à votre place…

— Chère petite !… dit Mme Massey, j’accepte à mon tour ce que tu appelles ton pacte ; mais est-il nouveau entre nous ? Quelle mère est plus bénie que moi ? Où existe-t-il deux filles plus dévouées, plus exquises que les miennes ? Quant au repos de cœur que tu voudrais me voir savourer, est-il jamais possible à qui possède de véritables affections ? Je me suis certainement apaisée depuis que je t’ai parlé de la grande épreuve qui m’attend, parce qu’elle m’est personnelle et que de celle-là ta généreuse sympathie peut, en effet, en alléger le poids. Mais comment ferai-je pour ne pas craindre à chaque minute pour ceux que j’aime ?… »

À ce moment, Colette parut sur le seuil, le visage bouleversé et comme vieilli soudain. Prise d’inquiétude, Lina allait lui demander si elle se sentait souffrante, lorsque la jeune femme mit un doigt sur ses lèvres et, se dominant pour ne laisser rien percer de son angoisse, dit de sa voix ordinaire :

« Lina, ma mignonne, pourrais-tu venir un instant à l’office ? On a besoin de toi. »

Mme Massey, qui tournait le dos à la porte, ne soupçonna pas le regard que venaient d’échanger ses deux filles, tandis que Lina traversait rapidement le salon et, après lui avoir mis un tendre baiser sur le front, la laissait à sa rêverie apaisée.

Sans dire un mot, Colette prit la main de la jeune fille aussitôt que la porte fut fermée et, l’entraînant rapidement, la fit entrer à l’office où se trouvait Martine, le visage consterné.

« Lina !… Lina !… Lina !… balbutia la pauvre Colette, incapable d’articuler autre chose et soudain éclatant en larmes.

— Qu’y a-t-il donc, au nom du ciel ?… Tottie ?…

— Oui… oui… Tottie… haleta la jeune mère : perdue… disparue… enlevée… je ne sais… »

Les sanglots lui coupèrent la parole.

« Voici, expliqua Martine. Elle était inquiète de ne pas les voir rentrer à l’heure dite et elle a voulu aller au-devant d’eux avec