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duise, et tante Dor déteste de plus en plus les chemins de fer. »

Pour la deuxième fois Morilo, accompagné de sa maîtresse, apportait à Mlle Lissac le panier plein de fleurs ; la grande Généreuse quitta sa place et arrondit encore ses yeux ronds.

« C’est-il Dieu possible qu’on soit aussi paresseux que les gens de ce pays-ci ! dit-elle. Chez nous on ne voudrait point perdre son temps à cueillir les fleurs des champs.

— Mais, Généreuse, répliqua Nadine, en Provence, c’est la récolte… Avec ces fleurs, on fera un parfum délicieux comme celui que j’ai versé hier sur ton mouchoir.

— Possible, mamzelle Nad, mais, si j’étais de ce pays, je planterais plutôt des betteraves et du colza.

— Qui ne pousseraient pas ici, riposta sèchement Mlle Lissac ; nous nous entendons aussi bien que les Normands à cultiver nos terres. Vous parlez des gens qui perdent leur temps, ma bonne, il y a une heure que vous regardez les autres travailler.

— Dame, j’attends mamzelle Nad.

— C’est inutile, puisque Nadine s’amuse de la cueillette ; retournez dire à Mme Jouvenet que je la garde à déjeuner, je m’arrangerai pour l’envoyer à la distillerie Brial que, si j’ai bien compris, elle doit visiter à trois heures. »

Le ton impérieux de la vieille demoiselle intimida Généreuse ; elle s’en fut sans réplique, et le long du chemin elle murmurait :

« Je vous demande un peu queu travail j’aurais pu faire au milieu de ces fainéantes qui s’amusent à cueilli des fleurs ! »

Les deux fillettes s’étaient jeté un coup d’œil ravi, mais Irène avait prudemment entraîné son amie :

« Nous remercierons tante Dor plus tard, elle est trop occupée, ça l’impatienterait. »

La matinée s’acheva gaiement : Morilo prenait goût à l’ouvrage, et d’un air affairé portait tout seul les paniers pleins.

« À table ! » cria la voix retentissante de Mlle Dorothée quand les cloches de Grasse tintèrent midi dans le lointain.

Marie-Louise avait dressé un couvert rustique sur une table à l’ombre du gros figuier ; le seul aspect des bonnes choses étalées là aiguisait l’appétit ; mais ce qui intéressa particulièrement la petite Parisienne ce fut le repas des ouvrières assises par terre sous l’arbre voisin : Mlle Lissac, qui aimait à régaler son monde, servit à chacune sur un morceau de pain une belle tranche de chou farci, le mets préféré des Grassois ; elle y ajouta des figues sèches et du vin.

« À présent, dit la tante d’Irène quand le repas fut terminé, vous allez retourner toutes les deux à la bastide avec Marie-Louise, elle attellera Vol-au-Vent et tu pourras conduire Nadine dans ton équipage jusqu’à la distillerie.

— Oh ! merci, tante ! que tu es bonne ! »

Mlle Dorothée fronça les sourcils :

« Chut, je n’aime pas qu’on m’interrompe : je te permets cette promenade parce que l’usine est loin de la Foux et de Beau-Soleil. Prenez la route d’en bas et soyez prudentes. »

Quelle fête pour Irène : assise près de son amie dans sa jolie charrette, elle faisait trotter son petit âne dont les grelots tintaient à son oreille comme la plus délicieuse musique. Morilo aussi trouvait cela charmant. Pour témoigner sa joie, il accompagnait Vol-au-Vent de ses aboiements ; celui-ci, perdant patience, secoua la tête, dressa les oreilles et changea son trot en un galop échevelé au grand plaisir des jeunes filles.

Dans la cour de la distillerie, Philippe et Marthe attendaient Nadine. Ce fut Irène qui les aperçut lorsqu’elle arrêta la charrette.

« Descends vite, Nad, il faut que je reparte », dit-elle avec un soupir de regret.

Et, dès que son amie eut sauté à terre :

« Hue ! Vol-au-Vent, hue donc ! Nous retournons à la bastide. »

Au lieu d’obéir, l’âne, sans doute irrité des taquineries du caniche, baissa la tête et se raidit dans une pose qui le faisait ressembler à un âne de carton. Son infortunée conductrice se démenait pour le décider à se mettre en route.

« Hue donc ! Vol-au-Vent ! » crièrent Marthe et Nadine se rapprochant pour lui venir en aide.

Philippe s’était d’abord contenté de rire aux