Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901.pdf/233

Cette page n’est pas destinée à être corrigée.

232

JULES VERNE

Le foreloper remonta la sente de quelques pas. Aussitôt la torche de s’éloigner. L’indi­ gène qui la portait s’était-il donc aperçu que ces trois étrangers venaient de se mettre en mouvement ?... Voulait-il éclairer leur marche sous ces obscurs massifs, les ramener vers le rio Johausen ou tout autre cours d’eau tri­ butaire de l’Oubanghi ?... Ce n’était pas le cas de temporiser. Il fal­ lait d’abord suivre cette lumière, puis tenter de reprendre la route vers le sud-ouest. « Allons », répéta le foreloper. Et les voici le long de l’étroit sentier, cir­ culant sur un sol dont les herbes étaient foulées depuis longtemps, les lianes rom­ pues, les broussailles écartées par le passage des hommes ou des animaux. Sans parler des arbres que Khamis et ses compagnons avaient déjà rencontrés, il en était d’autres d’espèce plus rare et non moins extraordinaires, tel le « gura crépi ta ns », à fruits explosibles, qui ne s’était encore trouvé qu’en Amérique dans la famille des euphorbiacées, dont l’écorce tendre renferme une substance laiteuse, et dont la noix éclate à grand bruit en lançant au loin sa semence ; tel le « tsofar », l’arbre siffleur, entre les branches duquel le vent sifflait comme à travers une fente, et qui jusqu’alors n’avait été signalé que dans les forets nubiennes. Tous trois marchèrent ainsi jusqu’à midi, et, lorsqu’ils tirent halte, après cette pre­ mière étape, la lumière s’arrêta au même instant... « C’est un guide, déclara Max Iluber, un guide d’une parfaite complaisance... Si nous savions seulement où il nous mène... — Qu’il nous sorte de ce labyrinthe, ré­ pondit John Cort, et je ne lui en demande pas davantage ! Eh bien, mon cher Max, tout cela, est-ce assez extraordinaire ?... — Assez... en effet !... — Pourvu que cela ne le devienne pas trop ! » ajouta John Cort. Pendant l’aprés-midi, le sinueux sentier continua de courir sous le couvert des fron­ daisons de plus en plus opaques. Khamis se tenait en tête, ses compagnons derrière

lui, en file indienne, car il n’y avait passage que pour une seule personne. S’ils pressaient parfois le pas, afin de se rapprocher de leur guide, celui-ci, le pressant également, main­ tenait invariablement sa distance. Vers six heures du soir, d’après l’estime, quatre à cinq lieues avaient dû être franchies depuis le départ. Cependant, l’intention de Khamis, en dépit de la fatigue, était de suivre la lumière, tant qu’elle se montrerait, et il allait se remettre en marche, lorsqu’elle s’étei­ gnit soudain. « Faisons halte, dit John Cort. C’est évi­ demment une indication qui nous est don­ née... — Ou plutôt un ordre, observa Max Huber. — Obéissons, répliqua le foreloper, et pas­ sons la nuit en cet endroit. — Mais demain,ajouta John Cort, la lumière reparaîtra-t-elle ?... » C’était la question. Tous trois s’étendirent au pied d’un arbre. On se partagea un morceau de buffle,et, heu­ reusement, il fut possible de se désaltérer à un petit filet liquide qui serpentait sous les herbes. Bien que les pluies fussent fréquentes dans cette région forestière, il n’était pas tombé une seule goutte d’eau depuis qua­ rante-huit heures. « Qui sait même, remarqua John Cort, si notre guide n’a pas précisément choisi cet endroit parce que nous y trouverions à nous désaltérer ?... — Délicate attention », avoua Max Huber, en puisant un péu de cette eau fraîche au moyen d’une feuille roulée en cornet. Quelque inquiétante que lïit la situation, la fatigue l’emporta, le sommeil ne se fit pas attendre. Mais John Cort et Max Huber ne s’endormirent pas sans avoir parlé de Llanga... S’était-il noyé dans le rapide ?... S’il avait été sauvé, pourquoi ne l’avait-on pas revu ?... Pourquoi n’avait-il pas rejoint ses deux amis John et Max ?... Lorsque les dormeurs se réveillèrent, une faible lueur, perçant à travers les branchages, indiqua qu’il faisait jour. Khamis crut pou­ voir conclure qu’ils avaient marché dans la