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ÉMILE MAISON

sans être en bouillie, allez plusieurs jours de suite, entre chien et loup, jeter quelques poignées de fèves à la place que vous avez choisie, en évitant de mettre la carpe en éveil par le bruit de vos pas ou par la projection de votre ombre sur l’eau.

Si votre place se trouve dans un endroit où le courant est très faible, jetez vos fèves à la volée ; leur poids suffira à les faire descendre. Si, au contraire, le courant est accentué, mêlez-y de la terre glaise ou de la terre de rivière dont vous ferez des pelotes, aromatisées de l’herbe précieuse. Loisible à vous, du reste, de remplacer ces pelotes par des boulettes de la pâte de notre chef d’escadron.

Étant donné le principe du parfum sui generis, la carpe viendra manger vos amorces et, son couvert étant mis, demeurera au même endroit. C’est ce qu’on appelle préparer un coup.

Au jour fixé dans votre esprit ou déterminé par l’état de la température, vous amenez votre bateau dans l’axe de la place choisie et vous l’y amarrez solidement. — Mais si je n’ai pas de bateau sous la main ? — Alors vous pêchez de la berge en maintenant votre gaule dans la position horizontale au moyen d’un support ou d’une grosse pierre, afin de pouvoir attendre le bon plaisir de la carpe ; mais cette pêche se fait mieux en bateau et elle donne de plus beaux résultats.

C’est surtout dans les trous, au milieu des rivières, que se réunissent les plus belles carpes, et l’on en trouve rarement près des bords ; voilà pourquoi, à pêcher de la berge, on a moins de chances, outre qu’on est souvent gêné par les herbes et par les arbres.

Une fois en place, on jette quelques boulettes ou quelques poignées d’amorces et l’on ajuste son attirail. La canne ou la gaule doit être longue et solide, munie d’un moulinet fonctionnant bien et d’anneaux ; car, dès que la grosse mère sentira le fer, elle décampera avec une vitesse d’automobile, et, si la tension de votre ligne l’arrête dans sa course, elle vous désarmera prestement. Il faut donc lui donner du champ, dare-dare, en dévidant la cordelette du moulinet.

Mais, tout d’abord, nous avons dû escher avec une fève, et voici comment nous avons procédé :

L’hameçon irlandais à palette numéro 6, monté sur deux racines vrillées, jouissant d’une réputation… hors ligne, j’ai introduit sa pointe par le côté, un peu au-dessus de l’une des faces de l’appât ; puis, la dirigeant entre la peau et la partie féculente de la graine, j’ai ramené ladite pointe en arrière jusqu’à lui faire affleurer l’un des petits bords, de telle manière que l’appât, ainsi lesté, cache le dard meurtrier de mon hameçon.

Au-dessus d’icelui, à 50 centimètres, a été préalablement attachée une assez forte plombée pour maintenir la ligne en place, et, ayant sondé la rivière, j’ai su mettre le flotteur à la hauteur voulue et en parfait équilibre, la plume enfoncée dans l’eau par le poids du plomb, tandis que le bouchon surnage. N’oubliez pas que nous pêchons presque à ras du fond.

La gaule entre les jambes ou posée en travers du bateau, selon ce que, étant donné le courant de la rivière, vous jugerez le plus à propos, l’hypnotisme du bouchon commence.

C’est ici, en effet, qu’il faut s’armer de patience ; car, bien que vorace, la carpe ne se jette pas sur l’appât, ainsi que ferait tout autre poisson en appétit : elle tourne et retourne autour de lui, le saisit doucement, puis le lâche et recommence plusieurs fois ce manège avant de se décider à mordre, ou à s’éloigner quand elle a pressenti le piège qui lui est tendu. On peut même observer que la grosse mère mord plus lentement, plus timidement qu’une carpette.

Il convient donc d’être attentif à toutes les simagrées de l’espèce carpéenne ou carpillonne, pour ne ferrer qu’à bon escient, lorsqu’on voit le bouchon bien entraîné. Alors, ferrez d’un coup sec du poignet en relevant la gaule presque verticalement, puis jouez du moulinet. Encore, n’êtes-vous pas au bout de vos émotions ; car, se sentant prise, la bête s’élance à droite, à gauche, en avant, en