Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901.pdf/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.
21
LA PÊCHE EN RIVIÈRE

« … Je ne demande à monsieur que la permission de ramasser ici son ombre et de la mettre ; quant à la manière dont je pourrai m’y prendre, c’est mon affaire. En échange, et pour prouver à monsieur ma reconnaissance, je lui laisserai le choix entre plusieurs bijoux que j’ai avec moi : l’herbe précieuse du pêcheur Glaucus, la racine de Circé, les cinq sous du Juif errant, le mouchoir du grand Albert, la mandragore, l’armet de Mambrin, le Rameau d’or, le chapeau de Fortunatus remis à neuf et richement remonté, ou, si vous préférez, sa bourse… »

Fermons le livre.

Mais encore ce Glaucus, invoqué ici au titre de dieu, qui est-ce ? Un simple pêcheur de profession, dis-je, lequel, ayant un jour placé par hasard les poissons qu’il pochait sur une certaine herbe (?), remarqua que ces animaux, au lieu de mourir tout de suite, devenaient, au contraire, plus vigoureux et, d’un seul bond, se rejetaient à l’eau. Le pêcheur voulut goûter la plante merveilleuse ; mais, aussitôt, poussé par une force invisible, il fut précipité à son tour dans la mer et métamorphosé en triton.

Est-ce dans Ovide que j’ai lu cela ? Je ne m’en souviens plus. Aussi bien, le cas de Glaucus n’est point le nôtre, puisque nous pêchons en rivière ; retenons simplement « l’herbe précieuse », qui n’est pas une chimère. Une herbe ? Non, tout un herbier dans lequel entrent le basilic, la valériane, la menthe aquatique, etc. Mais voilà que je m’aperçois de la fuite des heures, et je n’ai pas encore dit avec quoi nous amorcions, bien qu’il soit déjà entendu que c’est à la fève que doit mordre la carpe promise.

Sans trahir aucun secret, ni risquer aucun reproche, voici une recette préconisée par un maître pêcheur dont nous aurions mauvaise grâce à taire le nom, qui viendra au bout :

Dans un matras, il verse un demi-litre d’alcool, douze grammes d’essence de citron, autant d’essence d’anis, deux cuillerées d’amandes douces, trois de sucre, autant de miel ; puis, ayant sous la main des plantes desséchées, fleurs et tiges de marjolaine, feuilles de menthe et de basilic, il en pile de quoi remplir une tasse à café pour être ajouté au contenu du matras, lequel est chauffé au bain-marie jusqu’à ébullition de la liqueur. Une fois refroidie, on la transvase dans une bouteille, et l’on bouche soigneusement.

Vient le tour de la pâte. On jette dans un mortier deux litres de gruau, un quart de farine et un demi-litre d’eau bouillante dans laquelle s’étaient dissoutes, au préalable, une poignée de gros sel et une pincée d’aloès. Un doigt d’eau-de-vie et deux cuillerées d’huile d’olive viennent s’ajouter au mélange.

Après un malaxage consciencieux, la pâte, une fois bien homogène, est entourée d’un linge et portée au bain-marie pendant quelques minutes. Retirée, elle se laisse couper en tranches, sans adhérer à la lame du couteau. Encore chaudes, ces tranches sont ointes de miel, puis toutes ensemble triturées, en y ajoutant un verre à bordeaux de la liqueur. La pâte ainsi préparée se présentera sous la forme d’un pain oblong, d’une malléabilité analogue à celle du mastic des vitriers.

Sur le même fourneau, achevant de cuire, une potée de grosses fèves mises à tremper depuis la veille et qu’un séjour de quatre heures, en eau salée, aura rendues bouffies et expansives au dernier point. Quelques gouttes de liqueur viendront les parfumer, une fois refroidies.

Ainsi opère, ainsi nous conseille un aimable confrère en halieutique dont le pseudonyme, dans Étangs et Rivières, cache un brillant chef d’escadron de cavalerie, mais dont il doit nous être permis de trouver la formule un peu trop alambiquée pour des profanes. En vérité, on dirait plutôt de la pharmacopée que d’une amorce piscicole. Il apparaît du moins, très visiblement, que c’est la fève qui va jouer le principal rôle au bout de la ligne de M. de Montafilant, puisqu’il ne se sert point d’autre chose comme appât.

Plus simple, et non moins efficace, est la recette suivante :

Faites cuire des fèves de marais dans de l’eau additionnée d’un pain de chènevis et d’une double pincée de menthe aquatique, lorsqu’elles sont à point, c’est-à-dire crevées