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J. LERMONT

voient. Elle dit qu’il ne faut jamais tuer les grenouilles, parce qu’avant d’être grenouilles ces bêtes-là ont été des hommes.

— Quelle folie ! m’écriai-je, ce sont de vieilles superstitions païennes… »

Mais Hélène continuait :

« Elle dit que le sorbier est un arbre sacré. Elle dit qu’il faut jeter des petites pièces de monnaie dans les sources pour que les lutins qui y habitent vous soient favorables. »

Aïno s’exclama :

« Quand on pense que dans nos campagnes il y en a qui en sont encore là, qui croient aux sorts et aux sorciers. »

Mais on appelait d’autres acteurs et notre conversation fut brusquement interrompue.

Avec beaucoup d’imagination, on reconnut successivement dans nos tableaux les épisodes du Kalevala les plus susceptibles d’être interprétés par nous : le Kalevala, notre grande épopée nationale, sorte de merveilleuse odyssée, qui, remontant aux siècles païens, nous reproduit à travers les âges l’histoire de notre pays, a toujours tenté nos artistes, et nombreuses sont les scènes qui ont inspiré nos sculpteurs et nos peintres. Soit la belle Aïno qui se précipita dans les flots à l’aube de sa vie. Soit Marianna, qui symbolise l’avènement du christianisme parmi nos peuplades du Nord. Soit les aventures des trois héros Väinämöinen, Llmarinen et Leuminkäinen à la recherche du moulin magique qui procure une vie heureuse au sein de l’opulence. Soit la tragique histoire de ce Kullervo « né pour le malheur » et dont toute l’existence n’est qu’une suite ininterrompue de désastres pour lui et tous ceux qu’il approche.

Ce ne fut que longtemps après que j’appris à bien comprendre la beauté et le sens profond de notre poème épique, incomparable, et au-dessus de tout ce qui existe en ce genre, ce Kalevala, dont nous sommes fiers à juste titre, et qui nous donne de si curieux détails sur les mœurs de nos ancêtres, dans les temps les plus reculés.

Mais, grâce à nos bons maîtres, nous pouvions apprécier toute la partie de cette œuvre extraordinaire qui se rapporte à la jeune fille : dans des chants variés à l’infini se déroulent tous les sentiments que peut éprouver un cœur de jeune fille. Douce gaieté et innocents plaisirs, danses et jeux enfantins, joie de vivre et vague conscience de sa personnalité, éveil aux soucis et aux responsabilités. Avec quelle tristesse les jeunes filles du Kalevala pleurent la maison paternelle quand elles sont au service chez les étrangers et subissent la dure volonté d’un maître. Leur ton s’élève encore lorsqu’elles gémissent en proie aux calomnies des méchants, ou déplorant leurs infortunes.

C’est cette partie du Kalevala qui nous séduisait surtout, et nous nous étonnions naïvement que ce chef-d’œuvre finnois fût si longtemps resté ignoré et se fût peut-être perdu sans le Dr Lönnrot.

M. Ollan était membre de la Société de littérature finnoise, ces questions lui semblaient du plus haut intérêt. Il nous en parlait souvent, et elles nous étaient devenues familières.

Je me rappelle avoir, à ce propos, fait une longue « composition de style » qui ne me valut pas de place de première ni de prix, car nous ignorions ce genre d’émulation, mais qui reçut la note très bien et eut l’insigne honneur d’être lue à haute voix par notre professeur. La voici telle que je l’avais écrite, moi, enfant de quinze ans :

Elias Lönnrot.

« Voilà un nom à jamais gravé dans nos annales finnoises comme dans nos cœurs, un nom qui a une renommée bien au delà de notre petit pays.

« Il n’est personne qui ne le connaisse et admire dans tout le monde littéraire, le nom de notre grand Elias Lönnrot.

« Les premières années de la vie d’Elias furent des plus humbles. Son père était un tout petit tailleur d’un très petit village. Sa fortune probable était la modeste maisonnette, son patrimoine futur. Mais le métier de tailleur n’offrait nul charme aux yeux du jeune garçon. Elias n’aimait que les livres. Le père eut la sagesse de ne pas s’entêter ; mieux