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LA FOUX-AUX-ROSES

cusée de désobéissance et d’ingratitude !…

Tant que l’ourlet que la petite fille tenait à la main ne fut pas achevé, elle se posa successivement ces questions redoutables avec de gros soupirs en guise de points d’interrogation, puis, lorsque l’aiguille eut mordu l’étoffe pour la dernière fois, elle jeta son ouvrage dans sa corbeille et partit en courant vers le bois d’orangers. La Foux chantait sur son lit de pierres comme pour souhaiter la bienvenue à son amie, qui ne put s’empêcher de sourire en la revoyant ; mais presque aussitôt une voix joyeuse domina le gazouillis de l’eau :

« Hourrah ! cousinette ! disait cette voix, j’aurais parié que j’allais vous trouver ici quand Nanette Raybaud m’a appris qu’elle vous avait ramenée ce matin ; aussi je reviens par le chemin le plus long ; ma visite vous fait-elle plaisir ? »

Norbert, en costume d’écolier, sa serviette gonflée de livres et de cahiers sous le bras, était sur l’autre bord de la rivière, agitant son béret.

« Oh ! oui, un très grand plaisir, répondit Irène, dont l’air piteux contrastait avec les paroles, d’abord parce que je commence à beaucoup vous aimer, et puis pour autre chose… vous êtes plus âgé, vous saurez mieux que moi… voyons, qu’est-ce qui vous semble le plus mal, de tromper quelqu’un ou démentir ?…

— La drôle de question, fit le jeune garçon en riant, on ne peut guère tromper sans mentir, et quand on ment c’est pour tromper.

— Alors, l’un est aussi mal que l’autre…

— Certainement, père dit toujours que les honnêtes gens ne font pas de pareilles choses.

— Voilà tout juste ce que je pense, reprit Irène avec un grand soupir, et ce qui est surtout affreux, c’est de tromper une personne qui vous aime beaucoup… comme tante Dor par exemple… Elle m’accorde d’avoir Nadine pour amie, elle me donne une jolie charrette avec un âne pas plus haut que ça ; elle gronde, gronde très fort d’un air pas sévère du tout, parce que cela la rend heureuse de me revoir, eh bien, pendant le déjeuner, en lui racontant mon voyage, je me suis arrêtée court au moment où j’allais prononcer votre nom ; je me suis sentie honteuse comme si je venais de dire un gros mensonge… et, quand tante Dor m’a regardée, j’ai cru qu’elle allait lire dans mes yeux que vous étiez avec nous sur le bateau de Louis !… Oui, je comprends pour quoi à présent : on ment sans parler quand on laisse croire ce qui n’est pas vrai ! Qu’est-ce