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LA GRANDE FORÊT dans la ramure des baobabs, des bombax, des tamarins et autres géants de la famille forestière !... Non... pas un être humain... — Max... dit en ce moment John Cort. — John... répondit Max Huber. — Voulez-vous regarder dans cette direc­ tion... là-bas, en aval, sur la rive gauche ?... — Quoi ?... Un indigène ?... — Oui...mais un indigène à quatre pattes !... Là-bas, au-dessus des roseaux, une magni­ fique paire de cornes qui se recourbent en carènes... » L’attention du foreloper venait d’ètre atti­ rée de ce côté. « Un buffle... dit-il. — Un buffle ! s’écria Max Huber, en saisis­ sant sa carabine. Voilà un fameux plat de résistance, et si je le tiens à bonne portée !... » Khamis donna un vigoureux coup de godille. Le radeau s’approcha obliquement de la berge. Quelques instants après, il ne s en trouvait pas éloigné d’une trentaine de mètres. « Que de beefsteks en perspective !... mur­ murait Max Huber, la carabine appuyée sur son genou droit. — A vous, le premier coup, Max, lui dit John Cort, et à moi le second... s’il est néces­ saire... » Le bu flic ne semblait pas disposé à quitter la place. Arrêté sous le vent du radeau, il reniflait l’air à pleines narines, sans avoir le pressentiment du danger qu’il courait. Comme on ne pouvait pas le viser au cœur, il fallait le viser à la tète, et c’est ce que fit Max Huber, dès qu’il fut assuré de le tenir dans sa ligne de mire. La détonation retentit, la queue de l’animal tournoya en arrière des roseaux. Un doulou­ reux mugissement traversa l’espace, et non pas le meuglement habituel aux buffles, preuve qu’il avait reçu le coup mortel. « Ça y est ! » s’écria Max Huber, en lançant, avec l’accent du triomphe, cette locution ém i nemment fra nçaise. En effet, John Cort n’eut point à doubler, ce qui économisa une seconde cartouche. La bête, tombée entre les roseaux, glissa au pied de la berge, lançant un jet de sang qui rougit

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le long de la rive l’eau si limpide du rio Johausen. Afin de ne pas perdre cette superbe pièce, le radeau se dirigea vers l’endroit où le rumi­ nant s’était abattu, et le foreloper prit ses dispositions pour le dépecer sur place afin d’en retirer les morceaux comestibles. Les deux amis ne purent qu’admirer cet échantillon des bœufs sauvages d’Afrique, d’une taille gigantesque. Lorsque ces animaux franchissent les plaines par troupe de deux à trois cents, on se figure quelle galopade furieuse se déchaîne au milieu des nuages de poussière soulevés sur son passage. C’était un « onja », nom par lequel le dési­ gnent les indigènes, un taureau solitaire, plus grand que ses congénères de l’Europe, le front plus étroit, le muffle plus allongé, les cornes plus comprimées. Si la peau de l’onja sert à fabriquer des buflletcries d’une so­ lidité supérieure, si ses cornes servent à faire des tabatières et des peignes, si ses poils rudes et noirs sont employés à rem­ bourrer les chaises et les selles, c’est avec scs filets, ses côtelettes, ses entrecôtes qu’on obtient une nourriture aussi savoureuse que fortifiante, qu’il s’agisse des buffles de l’Asie ou du buffle de l’Amérique. En somme, Max Huber avait eu là un coup heureux. A moins qu’un onja tombe sous la première balle, il est terrible quand il fonce sur le chasseur. Sa hachette et son couteau aidant, Khamis procéda à l’opération du dépeçage, à laquelle scs compagnons durent l’aider de leur mieux. 11 ne fallait pas charger le radeau d’un poids inutile, et trente à quarante kilogram­ mes de cette chair appétissante devaient suffire à l’alimentation pendant plusieurs jours. Or, tandis que s’accomplissait ce haut fait cynégétique, Llanga, si curieux d’ordinaire des choses qui intéressaient son ami Max et son ami John, était resté sous le taud, et voici pourquoi motif. Au bruit de la détonation produite par la carabine, le petit être s’était tiré de son assoupissement. Ses bras avaient fait un léger mouvement. Si ses paupières ne s’ôtaient