Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901.pdf/191

Cette page a été validée par deux contributeurs.
190
ANDRÉ LAURIE

— La poudre K est un explosif terrible, que j’ai vu foudroyer instantanément quatre-vingt-treize Basoutos et Matabélés, en deux coups d’un canon de bois.

— Quand cela ?

— Il y a dix jours.

— Ces Matabélés et ces Basoutos étaient ceux que vous enrôliez depuis un mois à la ferme de Leinspruck ?…

— Ah ! vous savez… colonel ?… balbutia Benoni, surpris de cette précision de détails.

— Je sais… Et je vous demande de me dire, par oui ou non, si vous voulez parler de ces indigènes ?

— Oui, colonel.

— Vous les avez fait massacrer ?… Sans doute en les incitant au pillage de Massey-Dorp !… Dites ce qui est arrivé.

— Les Basoutos et les Matabélés, au nombre de six cents, passaient devant Massey-Dorp pour venir se mettre à votre disposition, colonel, et rendre au gouvernement de Sa Gracieuse Majesté la reine Victoria tels services auxquels vous auriez bien voulu les employer… Soudain, sans provocation, sans avertissement, un canon de bois, en batterie sur la terrasse de Massey-Dorp, a ouvert le feu sur la colonne et tiré deux obus… deux obus seulement…

— Alors ?…

— Quatre-vingt-treize hommes sont tombés foudroyés, sans blessure apparente… Le reste s’est enfui, dispersé…

— Et court encore… Fort bien. L’expérience est concluante, cette fois : les Matabélés et les Basoutos n’avaient qu’à ne pas la rendre nécessaire… Vous dites qu’ils sont tombés foudroyés ?…

— À l’instant qui a suivi l’explosion de l’obus.

— La poudre K serait donc un explosif réellement nouveau dans ses effets ?…

— Et si puissant qu’aucune force humaine ne peut lui résister !… L’armée qui l’aura à son service pour en charger les obus ordinaires sera nécessairement l’armée victorieuse… Une livre de poudre K vaut cinq régiments, puisqu’elle peut les détruire. »

La question ainsi posée par l’astucieux Benoni répondait, plus encore qu’il ne pouvait le supposer, aux préoccupations les plus vives de son interlocuteur. Celui-ci venait, en effet, d’être informé, le matin même, que les Boers du Transvaal et de l’Orange, devançant les menaces de la Grande-Bretagne, avaient franchi la frontière pour inonder de leurs commandos, ou corps de francs-tireurs, le Natal et la colonie du Cap.

Ainsi la guerre était officiellement déclarée par les Boers, qui prenaient l’offensive sans attendre l’ultimatum britannique. Ladysmith, Mafeking, Kimberley étaient coupées de leurs communications. Demain, sans doute, ces places allaient être investies. Or, des semaines et des mois devaient nécessairement s’écouler avant que les renforts embarqués dans les ports du Royaume-Uni pussent toucher à Durban ou à Table-Bay ; à les supposer arrivés, ces renforts, naturellement éprouvés par une longue traversée, dans la plus mauvaise saison de l’année, se trouveraient encore éloignés du théâtre des opérations. L’heure était donc critique et la perspective de s’assurer la possession d’un explosif irrésistible devenait la plus séduisante qui pût s’offrir à la pensée d’un Anglais.

« Vous connaissez la composition de la poudre K ? demanda le colonel.

— Je ne dis pas cela. J’en connais les effets ; je sais où est le dépôt.

— Eh ! moi aussi, je le sais !… Dans une galerie souterraine entre Massey-Dorp et la Tour phénicienne.

— Cet homme sait donc tout ! » murmura entre ses dents Benoni assez désappointé, car il avait compté sur le bénéfice de sa révélation. Il reprit à haute voix :

« J’offre de m’emparer de ce dépôt, si vous voulez bien mettre à ma disposition vingt cavaliers résolus.

— Vingt cavaliers !… Pourquoi pas vingt mille ?… riposta amèrement le colonel. Je n’en ai pas un de trop… Et, au surplus, là n’est pas la question. La poudre K est propriété neutre en pays neutre, propriété d’un