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PAUL ROLAND

déshérités du royaume enfin reçurent soulagement et protection au nom du roi Souvarna-Bahou.

Et Kandou chevauchait toujours, précédé de l’inépuisable trésor et répandant sur sa route des fleurs de reconnaissance qui s’épanouissaient au seul nom de Souvarna-Bahou.

Un concert de louanges montait du cœur de tous ces secourus et, comme le simoun qui traverse en courant l’étendue des déserts, le nom du roi volait de bouche en bouche, laissant après lui non pas la dévastation, ainsi que le terrible vent du désert, mais la paix, la joie et la douce fraîcheur.

Et le trésor s’émiettait sans se tarir encore.

Et les jours, les semaines, les mois s’enfilaient comme les grains d’un chapelet… Chaque grain était un bienfait ; le chapelet tout entier, la plus belle couronne qu’ait jamais portée front royal.

Une heure vint enfin où furent versés, dans la main du dernier pauvre du royaume, les derniers ducats du trésor. Chemin faisant, Kandou avait eu soin de recommander à chaque indigent de se trouver, à une date fixée par lui, dans la capitale du royaume, et tous s’y étaient engagés de grand cœur.

Alors, il songea à retourner vers son maître.

Aussi bien, le grand tambour était-il construit.

Au trot de son cheval, Kandou reprit le chemin de Calinga-Dessa.

Bien loin derrière lui suivait le chariot vide du trésor qu’il n’était plus nécessaire de garder.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il y avait un an, jour pour jour, que le général avait quitté la capitale lorsqu’il se présenta au palais.

« Eh bien ! dit Souvarna-Bahou, le grand tambour est-il achevé ?

— Il l’est, Sire.

— Comment se fait-il que je n’en aie pas encore entendu le son ? demanda le roi.

« Que Votre Majesté veuille bien sortir du palais ; alors elle entendra le son du grand tambour qui porte ses louanges à plus de mille lieues à la ronde.

— De mille lieues !… s’écria le roi. Et comment as-tu pu accomplir pareil prodige ?… »

Le roi commande qu’on attelle son char… Près de lui monte Kandou et le char les promène dans tous les points de la ville.

Sur tout le parcours, le peuple nombreux se presse, enthousiaste, acclamant avec joie et amour son bon souverain.

« Gloire à notre père, Souvarna-Bahou, le plus généreux prince du monde !… Béni soit notre roi bien-aimé !

— Quelle est cette multitude ? demande le roi à la vue de cette foule compacte, composée surtout d’infirmes, d’aveugles, de vieillards.

— Sire, répond Kandou, Votre Majesté me commanda un tambour si grand qu’il pût se faire entendre à plus de cent lieues. J’ai fait mieux. Pensant qu’un bois desséché et une peau morte ne pourraient accomplir ce prodige, j’ai distribué votre trésor aux plus pauvres de vos sujets. Les voilà tous, venus des quatre coins du royaume pour acclamer votre généreuse bonté. Ce que n’eût pu réaliser un humble instrument, la reconnaissance l’a obtenu. Ce n’est pas le son d’un tambour qui porte vos louanges à cent lieues à la ronde, mais les cœurs reconnaissants de vos sujets qui vous proclament : Père des malheureux. »

Le roi écoutait gravement, des larmes montaient à ses yeux.

« Tu as raison, dit-il, la gloire sans la bonté n’est rien qu’un instrument sans sonorité. Les sons du grand tambour n’auraient jamais été aussi loin que les cris de reconnaissance sortis du cœur de mes sujets. »

Kandou murmura, se parlant à lui-même :

« Ce n’est pas le tambour, mais le silence qui doit accompagner la charité.

— Que dis-tu ? demanda le roi.

— Sire, je ne répondrai à cette question qu’un peu plus tard, si Votre Majesté me le permet… »

Souvarna-Bahou sourit et le général se tut.

Il avait assez fait d’un coup. Kandou n’ignorait pas que les rois sont comme les petits enfants, des êtres gâtés auxquels, pour être profitables, les leçons du devoir doivent être inculquées par petites doses.

Paul Roland.