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A. MOUANS

lignes bien montées à l’aide du précieux filament connu des pêcheurs sous le nom de « racine de vers à soie » ; les nœuds d’assemblage étaient parfaits et selon les règles enseignées par Raybaud, qui fournirait à son jeune ami des bambous et les amorces nécessaires. Quand ils descendirent à la gare d’Antibes, M. Brial se dirigea vers la route de Nice où se trouvaient les champs de fleurs dont il voulait acheter la récolte, et, confiant dans la raison de son fils, il lui permit d’aller à la recherche du vieux marin.

« Louis Raybaud habite sur le cours Masséna, pensa Norbert, le mieux est de suivre la route du bord de l’eau et d’entrer dans la ville par la porte de la Marine. »

Mais, comme il approchait du port qui touche à cette porte, quelqu’un l’appela par son nom :

« Salut, monsieur Norbert ! que faites-vous tout seul ici ?

— Je vais chez vous, Louis, voir si votre père y est, répondit-il en reconnaissant la figure joviale du fils Raybaud, quelle chance de vous rencontrer ! Irez-vous en mer aujourd’hui ?

— Tout à l’heure, j’attends mes parents avec une passagère et nous embarquons.

— Moi aussi, alors, papa me l’a permis ; est-ce que ça vous déplaît ?

— Je ne dis pas cela, M. Norbert, seulement j’aime mieux vous avertir que notre passagère est Mlle Lissac.

— Aïe ! en voilà une tuile ! ça va tout gâter !… »

L’amateur de pèche s’arrêta désolé au moment de sauter dans la barque.

« Quel dommage ! reprit-il, moi qui espérais rapporter une bouillabaisse à la maison !… je ne peux pourtant pas y renoncer, c’est trop dur… ma foi, tant pis, votre bateau n’est pas sur la Foux-aux-Roses, ma cousine n’aura rien à dire ! »

Et Norbert embarqua résolument pendant que Louis demeurait sur le quai et se grattait l’oreille d’un air perplexe. Le brave garçon, dont la pensée n’allait jamais très vite, se demandait si son père serait fâché ou satisfait de l’aventure. Norbert avait surtout peur de rester à terre ; il s’assit sur le pont, entre le bordage et une barrique vide qui le cachait complètement.

« À présent, pensa-t-il, ne bougeons pas jusqu’à ce que nous soyons en mer, c’est le meilleur moyen pour que la cousine Dorothée soit obligée d’accepter ma compagnie. Ah ! les voici ! »

On entendait en effet la voix du vieux marin qui disait : « Doucement, mademoiselle, prenez la main de Louis pour embarquer, c’est plus sûr… Femme, passe-moi ton panier de provisions et dépêchons… avec cette brise-là on va joliment filer. Largue la voile, Louis, moi, je prends la barre. »

La Provence, doucement balancée sur l’eau bleue et profonde, quitta le quai et doubla l’extrémité de la jetée. Irène, d’abord un peu surprise par le mouvement du bateau, s’était assise et ne parlait pas ; Misé Raybaud inspectait le contenu de son panier pour s’assurer que rien n’était endommagé ; quant à Louis, il s’occupait de la manœuvre tout en cherchant dans son esprit engourdi une phrase pour annoncer que Norbert était à bord.

« Qu’as-tu, garçon ? lui cria le vieux marin, voilà trois fois que tu te grattes l’oreille comme quand quelque chose t’embarrasse…

— Oh ! pécaïre ! ça m’embarrasse sans m’embarrasser, c’est seulement pour te dire que je n’aime pas refuser aux enfants ce qui leur fait plaisir et que M. Norbert… »

Il n’eut pas le temps d’achever ; le jeune garçon, en entendant prononcer son nom, s’était levé, de sorte que sa tête apparaissait au-dessus du baril. Irène poussa une exclamation de surprise :

« Ah ! Raybaud, regardez-le donc, dit-elle en désignant la figure rieuse de son cousin.

— Oui, oui, je ne vois que trop bien !… une belle affaire pour moi quand votre tante apprendra cela, gronda le marin mécontent ; Louis est un nigaud de l’avoir laissé embarquer, et vous, Norbert, pourquoi vous cacher si vous ne croyiez pas faire mal ?

— J’avais compris que tu allais promener la cousine Dorothée ; je ne voulais pas qu’elle