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A. MOUANS

tion, soyez-en certaine, chère mademoiselle, répliqua Mme Jouvenet avec un sourire d’encouragement.

— Cela est bien vrai, ajouta Nad, il me semble encore l’entendre dire à Philippe :

« — Pour m’aimer, je n’ai besoin de personne ; j’ai ma tante Dor ! »

— Elle a dit cela ?… Vous en êtes sûre, petite ?

— À mon frère, dans le bois d’orangers, oui, mademoiselle.

— Alors, pourquoi m’abandonne-t-elle ?

— Je croyais, insinua la mère de Nadine, que vous l’aviez vous-même envoyée à Antibes ?

— Certes, et je ne lui demanderai pas de revenir, je suis d’une fermeté !…

— Mais alors, la pauvre enfant est obligée d’obéir, même si elle désire vous revoir… Il y aurait un bon moyen de tout arranger : ce qui manque ici à Irène, c’est la société d’enfants de son âge ; rappelez-la près de vous et permettez-lui de partager quelquefois les promenades et les jeux de ma fille. C’est, du reste, la faveur que je venais vous demander. Nadine le désire depuis sa première visite à la bastide. »

Le visage de Mlle Dorothée s’éclaira d’un sourire satisfait.

« S’il en est ainsi, dit-elle, je ne veux pas vous refuser ; les Lissac répondent poliment aux personnes aimables comme vous, madame ; Irène reviendra dès demain. Si elle s’avisait de préférer une autre amie à votre fillette qui est tout à fait de mon goût, elle aurait affaire à moi… mais elle sait bien que je ne cède jamais ! »

Après le départ de Nadine et de sa mère, la vieille demoiselle, très flattée de leurs remerciements, ferma la porte de la salle et se laissa tomber sur une chaise les mains jointes, le visage épanoui :

« Irène, ma petite belle ! murmura-t-elle, tu vas donc revenir, je jouirai encore de ton joli minois, de tes chants, de tes éclats de rire, et la bastide sera gaie comme avant… C’est égal, j’ai été très ferme et je m’en applaudis ! »

CHAPITRE VII


Dans un coin très ombragé du jardin des Myrtes les trois garçons s’étaient réunis dès le matin ; Philippe et Jacques se livraient à une partie de billes ; Norbert, à cheval sur un banc, remontait des hameçons à neuf.

« Papa va demain à Antibes pour acheter des récoltes de fleurs, disait-il… Quel dommage qu’il soit si occupé, nous lui aurions demandé de nous y emmener ; Raybaud et sa femme doivent y être, puisque leur bastide est fermée…

— Raybaud ?… est-ce ce bonhomme qui a décroché mon cerf-volant ? interrogea Philippe d’un air dédaigneux.

— Et qui t’a décroché en même temps ; oui, c’est bien lui.

— Qu’est-ce que ça peut te faire qu’il soit ou non à Antibes ?

— Dame, si j’y allais, il m’emmènerait pêcher dans le bateau de son fils.

— Ah ! la belle affaire !

— On voit bien que tu n’as jamais pêché, tu ne sais pas comme c’est amusant.

— Comment donc ! j’avais à peine six ans que bon papa Francœur m’emmenait déjà à la pêche, et ce que j’en prenais des poissons et de belle taille ! »

Dire à Philippe qu’il ne connaissait pas une chose, c’était le lancer à coup sûr dans une série d’histoires à perte de vue. Cette fois, il fit défiler devant ses auditeurs un nombre incalculable de truites, de lottes, de barbeaux, de perches, de gougeons qu’il se rappelait avoir pris dans des circonstances invraisemblables.

Quoique Jacques préférât le jeu de billes, il l’écoutait docilement, mais Norbert, occupé de ses lignes, sifflotait d’un air narquois.

« Vraiment, fit tout à coup le beau conteur, je suis trop bon de te parler de choses intéressantes, tu n’écoutes même pas.

— Tu te trompes, j’écoute et je compte les