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J. LERMONT

Avec ensemble, nous répondîmes :

« Nous avons juré de nous aimer de tout notre cœur jusqu’à la fin de nos jours.

— Et encore ?

— De n’avoir pas de préférences.

— Oui, vraiment, répéta Aïno : de n’avoir point de préférences. »

Hanna et Sigrid devinrent pourpres, tandis qu’un silence embarrassé pesait sur nous. Puis, les larmes aux yeux, Hanna s’accusa la première d’avoir, en effet, consacré plus de temps et de pensées à Sigrid, au détriment des autres. Sigrid, de son côté, dit qu’après réflexion ce pouvait bien être, mais qu’elle n’avait pas eu conscience d’avoir accaparé l’un des membres du quatuor. Hanna protesta de son affection pour les deux autres et de ses intentions de réparer à l’avenir ses torts involontaires. Comment lui en vouloir après un tel repentir ? Elle s’affirmait prête à tous les sacrifices pour n’être point exclue de l’alliance. Son pardon lui fut bientôt accordé, non sans émotion, et nous regagnâmes nos places, toutes souriantes malgré nos yeux encore humides…

Peu après, un grand événement vint absorber nos pensées, et non seulement les nôtres, mais celles de la classe entière. Le 14 mars, c’était la fête de notre chère maîtresse, Mlle Mathilde ; plus de trois semaines à l’avance, nous en parlions entre nous. Nous nous étions cotisées pour lui offrir un gâteau, et c’était toute une affaire de décider comment serait ce gâteau, de quelle forme et de quelle dimension on le prendrait, quel était le meilleur endroit pour l’acheter et la réputation la plus incontestée. Mais le point qui nous paraissait le plus important était de combiner la manière dont nous ferions ce présent à Mlle Mathilde. « La façon de donner vaut mieux que ce qu’on donne. » Nous avions découvert récemment cet adage dans nos extraits de français, et entre nous, le quatuor, nous l’avions longuement commenté, « ruminé », comme disait Hanna.

Ordinairement les choses se passaient ainsi : toutes les élèves de la classe se rendaient de grand matin chez leur maîtresse pour lui porter à la fois leurs vœux de « bonne fête » et leur gâteau ; mais il allait de soi qu’on ne les laissait pas partir. La maîtresse les retenait, faisait vite préparer du café et finissait par les régaler de leur gâteau même. Or cette manière de procéder choquait toutes nos idées de délicatesse. Comment s’y prendre pour parer à cet inconvénient ? Grands conciliabules et grandes disputes avant d’arriver à s’entendre à ce sujet. Faire envoyer le gâteau par le pâtissier eût été un moyen de trancher la question, cependant cela ne nous satisfaisait point. Et nos souhaits, qui s’en chargerait ? Les écrire et les signer n’eût pas semblé la même chose. Une délégation portant notre offrande avec mission d’exprimer nos vœux était préférable ; pourtant, cela ne réunit pas les suffrages. C’était à la fois trop d’honneur pour les déléguées et trop de chagrin pour les autres.

Hanna proposa alors un moyen mixte. Toutes, nous irions, mais nous n’entrerions pas toutes. On tirerait au sort pour savoir quelles seraient les privilégiées chargées, au dernier moment, de présenter notre modeste cadeau. Les autres, arrêtées au coin de la rue où demeurait Mlle Mathilde, les attendraient là, et elles auraient le plaisir de voir de leurs yeux le fameux gâteau.

Cette proposition réunit tous nos suffrages. Comme cela, il nous semblait avoir toutes notre part de la fête.

Le 13 mars arriva enfin ! Nous étions excitées à ne guère dormir de la nuit, et, dès l’aube, nous étions sur pied. Mlle Mathilde demeurait assez près de la pension, mais nous fîmes un détour pour passer d’abord chez le pâtissier. À notre grande joie, le gâteau était très réussi.

« Une merveille », dit Aïno.

Il était doré, glacé de sucre, orné de fruits. Et il exhalait une odeur affriolante. Nous fûmes unanimes à déclarer que jamais on n’en avait vu de pareil.

Le sort avait favorisé Sigrid et une blondinette, la plus jeune de la classe, nommée Heddi.

Après nous être bien extasiées sur le gâ-