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J. LERMONT

Toutefois, en cas d’agression contre le docteur, on eût dû en retrouver les témoignages non équivoques. Grâce aux instincts destructeurs des singes, la cage ne serait pas restée intacte, et il n’y en aurait eu que des débris à la place qu’elle occupait.

Après tout, à cette heure, le plus urgent n’était pas de s’inquiéter du docteur allemand, mais de ce qu’il adviendrait du radeau. Précisément, la largeur du rio diminuait graduellement. À cent pas sur la droite, en avant d’une pointe, l’eau tourbillonnante indiquait un fort remous. Si le radeau tombait dans ce remous, il ne subirait plus l’action du courant détourné par la pointe et serait drossé contre la berge. Khamis pouvait bien avec sa godille le maintenir au fil de l’eau, mais l’obliger à s’écarter obliquement du remous, ce serait difficile. Les singes de la rive droite l’assailliraient en grand nombre. Aussi les mettre en fuite à coups de fusil s’imposait-il. Les carabines éclatèrent donc, au moment où le radeau se mettait à tourner sur lui-même sous l’action du remous.

Un instant après, la bande avait disparu. Ce n’étaient pas les balles, ce n’étaient pas les détonations qui l’avaient dispersée. Depuis une heure, l’orage montait vers le zénith. Les nuages blafards couvraient maintenant le ciel. À ce moment, les éclairs embrasèrent l’espace, et le météore se déchaîna avec cette prodigieuse rapidité, particulière aux basses latitudes. À ces formidables éclats de la foudre, les quadrumanes ressentirent ce trouble instinctif commun à tous les animaux qu’impressionne l’influence électrique. Ils prirent peur, ils allèrent chercher sous de plus épais massifs un abri contre ces coruscations aveuglantes, ce formidable déchirement des nues. En quelques minutes, les deux berges furent désertes, et, de cette foule d’assaillants, il ne resta qu’une vingtaine de corps, sans vie, étendus entre les roseaux des berges.

Jules Verne.

(La suite prochainement.)


EN FINLANDE

(SOUVENIRS D’UNE JEUNE FILLE)

V


Dans la maison paternelle, décorée de sapins et ornée de rubans, la fête de Noël s’annonçait pleine de promesses ; d’appétissantes odeurs partant de la cuisine réjouissaient ma petite sœur, que les mystères de l’arbre de Noël empêchaient positivement de dormir.

« Noël n’arrivera jamais », soupirait-elle.

Noël arriva pourtant. Nous tenions à le célébrer dans ses plus petits détails comme on fait en Finlande. Pour être en mesure, nous avions, la veille, jonché de paille tous les parquets. À cinq heures du matin, le grand jour, nous étions tous sur pied, et, bien enveloppés de fourrures, nous nous entassions dans des traîneaux et prenions le chemin de l’église. Les sonnettes tintinnabulaient, et leur carillon, plus gai encore que de coutume, semblait chanter : « Noël ! Noël ! joyeux Noël ». Sur notre route, les plus pauvres cabanes étaient illuminées, et de nombreux traîneaux nous rejoignaient, nous devançaient ou cheminaient côte à côte, tous dans la même direction : la maison de Dieu. Il fallait être malade et bien malade pour rester chez soi ce jour-là. Tous les yeux rayonnaient, tous les cœurs battaient à l’unisson ; on se sentait tous frères, et la petite église résonnait de chants d’amour. Il est né, le divin Enfant… Les cierges flambent, les voix s’unissent, les prières montent vers le ciel…

Après la cérémonie religieuse, chacun repart en traîneau, et avec moins de recueillement qu’à l’aller, mais plus de joie : les cris,