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LA GRANDE FORÊT

lit se réduisait d’un tiers. La marche du radeau s’accroissait alors avec la vitesse du courant. Enfin, à la nuit close, peut-être, les hos­ tilités prendraient-elles fin. Peut-être les singes sc disper­ seraient-ils à travers la forêt. Dans tous les cas, s’il le fallait, au lieu de s’arrêter pour la halte du soir, Khamis se ris­ querait à naviguer toute la nuit. Or, il n’était encore que quatre heures, et, jusqu’à sept, la situation resterait très in­ quiétante. En effet, ce qui l’aggravait, c’est que le radeau n’était pas à l’abri d’un envahissement. Si les singes pas plus que les chats n’aiment l’eau, s’il n’y avait pas à craindre qu’ils se missent à la nage, la disposi­ tion des ramures au-dessus de la rivière leur permettait, en divers endroits, de s’aventurer sur ces ponts de branches et de lianes, puis de se laisser choir sur la tête de Khamis et de ses compagnons. Cela ne serait qu’un jeu pour ces bêtes aussi agiles que malfaisantes. Ce fut même le coup que cinq ou six grands gorilles tentèrent vers cinq heures, à un coude de la rivière où se joignait le branchage des bombax. Ces animaux postés au milieu, à cinquante pas en aval, attendaient le passage du radeau. John Cort les signala, et il n’y avait pas à se méprendre sur leurs intentions. « Ils vont nous tomber dessus, s’écria Max lluber, et si nous ne les abattons pas... — Feu donc ! » commanda le foreloper. Trois détonations retentirent. Trois singes, mortellement atteints, après avoir vainement essayé de se raccrocher aux branches, s’abat­ tirent dans le rio et disparurent. Les clameurs redoublèrent. Une vingtaine

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de quadrumanes s’engagèrent entre les lianes, prêts à se jeter sur le radeau. t 11 fallut prestement recharger les armes et tirer de nouveau. Il s’ensuivit une fusillade

assez nourrie. Une douzaine de gorilles et de chimpanzés furent blessés avant que le radeau se trouvât sous le pont végétal. Découragés, leurs congénères s’enfuirent sur les rives. Une réflexion qui vint à l’esprit, c’est que, si le professeur Garner sc fût installé dans ces profondeurs de la grande forêt, son sort aurait été celui du docteur Johausen. En ad­ mettant que ce dernier eût été accueilli parla population forestière de la même façon que Khamis, John Cort et Max Huber, il n’en fallait pas davantage pour expliquer sa disparition.