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JULES VERNE

Ainsi donc, après avoir si inopinément retrouvé l’endroit où était venu s’installer le docteur Johausen, Khamis et ses compagnons allaient partir sans savoir ce que ledit doc­ teur était devenu ?... Rien... rien !... Pas un seul indice !... Cette obsédante pensée ne ces­ sait de tourmenter Max Huber,alors qu’elle préoccupait assez peu John Cort et laissait le foreloper tout à fait indifférent. II se dit qu’il allait rêver de babouins, de chimpanzés, de gorilles, de singes parlants, toutou convenant que le docteur n’avait pu avoir affaire qu’à des indigènes !... Et alors — l’imaginatif qu’il était ! — la grande forêt lui réapparaissait avec scs éventualités mystérieuses, les hantises que lui suggéraient ses profondeurs, peu­ plades nouvelles, types inconnus, villages perdus sous les massifs...

Avant de s’étendre au fond de la grotte : « Mon cher John, et vous aussi, Khamis, dit-il, j’ai une proposition à vous sou­ mettre... — Laquelle, Max ?... — C’est de faire quelque chose pour le docteur !... — Se lancer à sa recherche ?... s’écria le foreloper. — Non, répondit Max Huber, mais donner son nom à ce cours d’eau, qui n’en a pas, je présume... » Et voilà pourquoi le rio Johausen figurera désormais sur les cartes modernes. La nuit se passa tranquillement, et, pen­ dant qu’ils veillaient tour à tour, ni John Cort, ni Max Huber, ni Khamis n’entendirent un seul mot frapper leur oreille.

Au oourant du rio Johausen.

Il était six heures et demie du matin, lorsque, à la date du 16 mars, le radeau dé­ marra, s’éloigna de la berge et prit le courant du rio Johausen. A peine faisait-il jour. L’aube se leva rapi­ dement. Des nuages couraient à travers les hautes zones de l’espace sous l’influence d’un vent vif. Si la pluie ne menaçait plus, Je temps demeurerait vraisemblablement couvert pen­ dant toute la journée. Khamis et ses compagnons n’auraient pas à s’en plaindre, puisqu’ils allaient descendre entre les berges d’une rivière largement expo­ sée aux rayons perpendiculaires du soleil. Le radeau, de forme oblongue, ne mesurait que sept à huit pieds en largeur, sur une douzaine en longueur, tout juste suffisant pour quatre personnes et quelques objets qu’il transportait avec elles. Très réduit, au total, ce matériel : la caisse métallique de cartouches, les armes, comprenant trois cara­ bines, le coquemar, la marmite, la tasse. Quant aux trois revolvers, d’un calibre infé­ rieur à celui des carabines, on n’aurait pu les approvisionner à la caisse du docteur. En comptant les cartouches fourrées dans leurs poches, John Cort et Max Huber

n’avaient plus qu’une vingtaine de coups à tirer. Au surplus, peut-être, n’y aurait-il pas lieu de les utiliser. L’essentiel était que les munitions ne fissent point défaut aux chas­ seurs jusqu’à leur arrivée près des rives de l’Oubanghi. A l’avant du radeau, sur une couche de terre soigneusement tassée, était disposé un amas de bois sec, aisément renouvelable pour le cas où Khamis aurait besoin de feu en dehors des heures de halte. A l’arrière, une forte go­ dille, faite avec l’une des planches, permet­ trait de diriger l’appareil ou tout au moins de le maintenir dans le sens du courant. Entre les deux rives, sur la largeur d’une cinquantaine de mètres, le courant sc dépla­ çait avec une vitesse d’environ un kilomètre à l’heure. A cette allure, le radeau emploie­ rait donc une vingtaine de jours à descendre les trois cents kilomètres qui séparaient le foreloper et ses compagnons du confluent de l’Oubanghi. Si c’était à peu prés la moyenne obtenue par la marche sous bois, du moins le cheminement s’effectuerait sans fatigues. Quant aux obstacles qui pourraient barrer le cours du rio Johausen, on ne savait à quoi s’en tenir. Ce qui fut constaté au début, c’est