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LA FOUX-AUX-ROSES

C’est bien simple : les Gascons, qui sont des gens très malins, ont dit aux Parisiens : Vous ne savez pas apprécier nos produits ; c’est bien, nous les mangerons nous-mêmes. Et ils le font comme ils le disent. Chez eux, à leur table, ils consomment et vous servent du bon pâté d’autrefois, très authentique, car ils sont respectueux de la tradition. Le commerce s’accommode du reste.

Cyrille de Lamarche.

LA FOUX-AUX-ROSES

Par A. MOUANS

CHAPITRE V


Le père Raybaud, très étonné, avait suivi des yeux Philippe et son ami, il s’écria :

« Ah ça, pourquoi se sauvent-ils comme des voleurs ?

— C’est qu’ils ont eu peur que vous ne les obligiez à me dire merci ! Jacques me déteste, ce qui est très injuste puisqu’il ne me connaît pas !… Ah ! voyez-vous, soupira Irène d’un air de gravité qui changeait son jeune visage, j’aime beaucoup notre Foux-aux-Roses, mais je crois par moments que, si elle n’existait pas, je serais plus heureuse ! Après tout, c’est à cause d’elle que tante Dor et moi nous avons des ennemis ! »

L’enfant tournait ses yeux pleins de larmes vers le visage bronzé du marin qui lui répondit avec un sourire encourageant :

« Non, non, ma bonne petite, ce n’est pas votre jolie source qu’il faut accuser de tout le mal ! Croyez-moi, si elle n’avait pas coulé où elle coule, votre grand-père, M. Lissac, aurait trouvé une autre raison de se fâcher contre son beau-frère. »

Irène était de nouveau sur la mule et l’on cheminait vers la maison du garde sous l’ombrage d’un beau bois de pins et de chênes verts.

« Il me semble, dit-elle un peu choquée, que vous donnez tort à mon grand’père. »

Raybaud hocha la tête :

« Quand deux braves gens se querellent, on peut presque toujours blâmer l’un et l’autre : vous savez que, dans leur jeunesse, le vieux M. Brial et M. Lissac, en épousant les deux sœurs, étaient devenus propriétaires d’un beau bois d’orangers que la Foux traversait. Ils en partageaient les fruits de bon accord et étaient les meilleurs amis du monde. La véritable cause de tout le mal vint de ce que M. Brial fit un gros héritage. Cela déplut à votre grand-père qui auparavant était le plus riche ; peu à peu il se fâcha et taquina son beau-frère de toutes les façons : il refusa de lui vendre sa part du petit bois ; la jalousie le tenait, voyez-vous, c’est un bien mauvais mal. Un jour, M. Brial, à bout de patience, fit abattre tous les orangers sur la rive droite de la Foux et les remplaça par un champ de rosiers en déclarant qu’il prenait ce morceau-là pour sa part. Alors votre grand-père entra dans une colère folle et cria bien fort qu’on lui volait un bon tiers du terrain ; M. Brial, furieux à son tour, répondit que, au contraire, l’endroit où coulait la Foux lui appartenait et il offrit de le prouver en faisant mesurer la propriété par un arpenteur. Lorsqu’il vint, deux jours après, il vit que M. Lissac, pour toute réponse, avait fait placer à l’entrée du pont la porte qui y est toujours.

— Ne croyez-vous pas que mon grand-père avait fait arpenter le terrain avant ? demanda Irène.

— Eh ! pécaïre ! il n’a jamais voulu le faire, encore moins s’adresser à la justice ; il avait parlé dans un mouvement de colère et n’était pas certain d’avoir raison… et puis, un bout de terre de plus ou de moins, ça ne l’inquiétait guère ; c’était un bon prétexte pour se fâcher, voilà tout !

— Alors, vous croyez que tout a été de sa faute ?