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ÉD. GRIMARD

nait de faire ? Il est bon d’ajouter que, bizarre et maniaque, il se pouvait bien qu’il y eût ce qu’on appelle en France « une fêlure » dans son intellectualité.

Il y avait au service du docteur un indigène dont il était assez satisfait. Lorsqu’il lui fit connaître son projet d’aller vivre en forêt au milieu des singes, cet indigène n’hésita point à accepter l’offre de son maître, sans trop savoir à quoi il s’engageait.

Il suit de là que le docteur Johausen et son serviteur se mirent à la besogne. Une cage, genre Garner, mieux conditionnée, plus confortable, commandée en Allemagne, fut apportée par pièces à bord d’un paquebot qui faisait escale à Malinba. D’autre part, en cette ville, on trouva sans peine à rassembler des provisions, conserves et autres, des munitions, de manière à n’exiger aucun ravitaillement pendant une longue période. Quant au mobilier, très rudimentaire, à la literie, au linge, aux vêtements, aux divers ustensiles de toilette et de cuisine, ces objets furent empruntés à la maison du docteur, et aussi un vieil orgue de Barbarie qu’il possédait, estimant que les singes ne devaient pas être insensibles au charme de la musique. En même temps, il fit frapper un certain nombre de médailles de nickel, avec son nom et son portrait, destinées sans doute aux autorités de cette colonie simienne qu’il espérait fonder dans l’Afrique centrale.

Pour achever, le 13 février 1894, le docteur et l’indigène s’embarquèrent à Malinba avec leur matériel sur une barque du Nbarri et ils en remontèrent le cours afin d’aller…

D’aller où ?… C’est ce que le docteur Johausen n’avait dit ni voulu dire à personne. N’ayant pas besoin d’être ravitaillé de longtemps, il serait de la sorte à l’abri de toutes les curiosités et de toutes les importunités. L’indigène et lui se suffiraient à eux-mêmes. Il n’y aurait aucun sujet de trouble ou de distraction pour les quadrumanes dont il comptait faire son unique société, et il saurait se contenter des charmes de leur conversation, ne doutant pas de surprendre les secrets de la langue simienne.

Ce que l’on put apprendre plus tard, c’est que la barque remonta le Nbarri pendant une centaine de lieues, qu’elle mouilla au village de Nghila, qu’une vingtaine de noirs y furent engagés comme porteurs, que le matériel s’achemina dans la direction de l’est. Mais, à partir de ce moment, on n’entendit plus parler du docteur Johausen. Les porteurs, revenus à Nghila, étaient incapables d’indiquer avec précision l’endroit où ils avaient pris congé de lui. Bref, après deux ans écoulés, et malgré quelques recherches qui ne purent aboutir, pas la moindre nouvelle du docteur allemand ni de son fidèle serviteur.

Jules Verne.

(La suite prochainement.)


MONOGRAPHIES VÉGÉTALES


LÉGUMINEUSES ET SOLANÉES (Suite.)



Le manioc ou manihot (Jatropha manihot) appartient à la famille des euphorbiacées. C’est un arbuste à tige tortue, noueuse et cassante, haute de deux à trois mètres. Feuilles palmées ; fleurs rougeâtres en bouquets ; fruit capsulaire à trois coques ; graines luisantes d’un gris bleuâtre. Le manioc, originaire de l’Amérique septentrionale, prospère particulièrement aux Antilles. À l’état frais, cette plante, en vraie euphorbiacée qu’elle est, contient en abondance un suc laiteux et très vénéneux, mais ses propriétés délétères disparaissent par la cuisson ou même par une simple exposition à l’air libre prolongée pendant quelques jours. La racine ratissée, lavée, puis râpée et fortement pressée, fournit,