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JULES VERNE

Max Huber faisait bonne chasse. Une détona­ tion venait de retentir, et l’adresse du Français permettait d’affirmer que ce coup de fusil ne devait pas avoir été perdu. Très certainement, avec des munitions en quantité suffisante, l’alimentation de la petite troupe eût été assurée pendant ces trois cents kilomètres qui la séparaient de l’Oubanghi et même pour un plus long parcours. Or, Khamis et John Cort s’occupaient à choisir les meilleurs bois, lorsque leur atten­ tion fut attirée par des cris. Ces cris venaient du sud-est, c’est-à-dire de la direction prise par Max Huber en s’éloi­ gnant de la berge. « C’est la voix de Max... dit John Cort. — Oui, répondit Khamis, et aussi celle de Llanga. » En effet, un fausset aigu se mêlait à une voix mâle. « Sont-ils donc en danger ?... demanda John Cort. — Courons », répondit le foreloper. Tous deux traversèrent le marécage en arrière de la berge et atteignirent la légère tumescence sous laquelle s’évidait la grotte. De cette place, en portant les yeux vers l’aval, ils aperçurent Max Huber et le petit indigène arrêtés sur une grève de la rive gauche. Ni êtres humains ni animaux aux alentours. Du reste, leurs gestes n’étaient qu’une invitation à les rejoindre et ils ne manifestaient aucune inquiétude. Khamis et John Cort, après être descendus, franchirent rapidement trois à quatre cents mètres. Lorsqu’ils furent tous réunis, Max Huber se contenta de dire : « Peut-être n aurez-vous pas la peine de construire un radeau, Khamis... — Et pourquoi ?... demanda le foreloper. — Parce que en voici un tout fait, en mau-. vais état, il est vrai, mais les morceaux en sont bons. » Et Max Huber montrait dans un enfonce­ ment de la rive une sorte de plate-forme, un assemblage de madriers et de planches, retenu

par une corde à demi pourrie dont le bout s’en­ roulait à un piquet enfoncé dans la berge. « Un radeau... s’écria John Cort. — C’est bien un radeau !... » répondit Kha­ mis. En effet, sur la destination de ces madriers et de ces planches, aucun doute n’était admis. « Des indigènes ont-ils donc déjà descendu la rivière jusqu’à cet endroit ?... observa Khamis. — Des indigènes ou des explorateurs, répon­ dit John Cort. Et pourtant, si cette partie de la forêt d’Oubanghi eût été visitée, on l’aurait su au Congo ou au Cameroun. Or, jusqu’ici je n’ai jamais entendu parler d’une exploration faite dans cette forêt... — Ni moi, ajouta Max Huber. Au total, peu importe, la question est de savoir si ce radeau ou ce qui en reste peut nous servir... — Assurément », déclara le foreloper Et il allait se glisser au niveau de la crique, lorsqu’il fut arrêté par un cri de Llanga. L’enfant, qui s’était éloigné d’une cinquan­ taine de pas en aval, accourait, tenant un objet qu’il agitait de la main. Un instant après il remettait à John Cort ledit objet. C’était un cadenas de fer, rongé par la rouille, dépourvu de sa clef, et dont le méca­ nisme, d’ailleurs, eût été hors d’état de fonc­ tionner. « Décidément, dit Max Huber, il ne s’agit pas des indigènes congolais ou autres, aux­ quels les mystères de la serrurerie moderne sont inconnus !... Ce sont des blancs que ce radeau a transportés jusqu’à ce coude de rivière... — Et qui n’y sont jamais revenus ! » ajouta John Cort. Juste conséquence à tirer de l’incident. L’état d’oxydation du cadenas, le délabre­ ment du radeau démontraient que plusieurs années s’étaient écoulées depuis que l’un avait été perdu et l’autre abandonné au bord de cette crique. Deux déductions ressortaient donc de ce . double fait logique et indiscutable. Aussi, lorsqu’elles furent présentées par John Cort,