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COLETTE EN RHODESIA

de la cave, surtout !… Car la cave joue un grand rôle dans ces imaginations…

— Ils sont nombreux ?

— Quatre ou cinq cents au bas mot, sinon plus. »

Bernier donnait des détails qui ne permettaient pas le doute. On lui fit, cela va sans dire, l’accueil que méritait un avis aussi précieux ; on le pria de surveiller les mouvements du mécréant et d’en informer la petite colonie, si ces mouvements devenaient inquiétants. Que pouvait-on de plus, à deux cents kilomètres de toute ville, dans un pays entièrement désert, que les fermiers avaient abandonné l’un après l’autre à cent lieues à la ronde, sans doute pour s’en aller au Transvaal se ranger sous le drapeau de l’indépendance, — et qui d’ailleurs, même en temps normal, était dénué de toute force publique. À qui s’adresser pour obtenir aide et protection ?…

On ne pouvait compter que sur soi-même. C’est ce que Mme Massey et Colette comprirent dès le premier moment.

Loin de se laisser abattre par le péril, elles se félicitaient de le connaître. Elles sentaient leur courage s’élever à la hauteur des circonstances et ne songeaient plus qu’à tout préparer pour la défense.

Autour d’elles, chacun s’enflammait d’une ardeur égale.

M. Hardouin et Le Guen barricadaient portes et fenêtres avec tout ce qui pouvait servir à cet usage. Martine annonçait hautement qu’elle tenait son fourneau et ses chaudières prêts pour arroser d’huile bouillante quiconque aurait l’audace de vouloir forcer l’entrée de sa cuisine. M. Weber passait les armes en revue, préparait les munitions et ne dissimulait pas la satisfaction professionnelle qu’il éprouvait à la pensée d’expérimenter les effets de son explosif sur des brigands authentiques.

Trois jours s’écoulèrent dans ces préparatifs de siège. Une tranchée de deux mètres avait été creusée par Le Guen au pied de la véranda, pour abriter le canon derrière un épaulement de terre. Les ouvertures de la maison ne laissaient plus entrer le jour que par une meurtrière ménagée pour le tir. Chacun avait choisi son poste de combat et, la nuit, les trois hommes se relayaient pour faire des rondes avec le bon chien Phanor et monter la garde.

Sur ces entrefaites, Bernier reparut un matin. La bande de Benoni, forte de cinq à six cents hommes, était en marche et s’avançait contre Massey-Dorp. Elle comptait surprendre la famille le soir même, à l’heure du dîner…

Et de fait, vers le coucher du soleil, l’avant-garde se montra. C’était une troupe de cinquante à soixante indigènes armés de flèches ou de sagaies, qui longeaient la rivière au bas de la pelouse ; elle s’arrêta et parut attendre le gros de l’armée.

Bientôt, de nouvelles bandes prirent position autour de la villa, dans les bouquets d’arbres et derrière les plis de terrain.

L’aspect des choses montrait suffisamment que Massey-Dorp était sur ses gardes et prêt à se défendre, et cette attitude se trouvait probablement peu conforme à l’attente des assiégeants, car on les voyait, les uns après les autres, s’arrêter, tenir conseil, s’accroupir en cercle pour délibérer.

Soudain, un homme vêtu d’un vieux complet à carreaux et coiffé d’un fez parut au milieu d’eux ; il était arme d’une carabine et accompagné d’un jeune Arabe de quinze à seize ans. C’était Benoni. Il fut aussitôt entouré d’une foule bruyante et qui semblait lui reprocher l’inexactitude de ses informations. Il la calmait du geste et probablement aussi de la parole. Les protestations cessèrent. Sans doute il expliquait que le silence de Massey-Dorp montrait l’inanité de ses moyens de défense : les habitants étaient peu nombreux et hors d’état de résister à des forces supérieures ; il fallait attaquer sur l’heure et s’emparer des richesses amoncelées dans la maison des blancs…

Ce discours ranima l’ardeur de l’armée noire. Des acclamations retentirent. Quelques-uns des plus pressés s’élancèrent vers la villa en poussant des hurlements féroces.

Deux coups de feu partis des fenêtres et tirés, l’un par Colette, l’autre par son mari, les arrêtèrent net. Ils tournèrent sur leurs talons