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LA FOUX-AUX-ROSES

Le vent s’élevait, secouant violemment les branches ; étourdi, aveuglé par les brindilles qui le fouettaient au visage et surtout paralysé par la crainte, le jeune garçon, après deux ou trois tentatives maladroites pour suivre les conseils de son ami, se cramponnait de nouveau et déclarait bien haut qu’il ne bougerait plus, lorsqu’un éclat de rire partit comme une fusée à quelques pas de l’arbre. C’était le même rire clair qui avait si fort mortifié Philippe chez Mlle Lissac ; il le reconnut et aussi la voix qui lui criait :

« C’est donc vous, aujourd’hui, qui faites visite aux oiseaux ! »

Irène était maintenant presque à l’ombre du châtaignier ; assise avec aisance sur la mule, elle relevait les bords de son chapeau pour mieux voir l’infortuné.

« Passez votre chemin, s’exclama Jacques avec colère dès qu’il l’eut reconnue, nous n’avons pas besoin de vous ! »

Sans réfléchir à la brutalité de son action, il avait, en parlant, appliqué un vigoureux coup de baguette sur l’échine de la bête qui se mit à ruer.

La jeune écuyère, heureusement, n’en était pas à son coup d’essai : prompte et calme, elle remit au pas sa monture et revint vers le garçonnet encore armé de sa baguette. Irène ne riait plus, elle était rouge et ses yeux gris brillaient d’indignation :

« Vous ne m’avez pas fait peur, cousin Jacques, dit-elle d’une voix ferme, mais je suis bien fâchée qu’un garçon de ma famille agisse ainsi… Pourquoi cherchez-vous à me faire du mal ? Moi, je ne vous en ai jamais fait… Savez-vous que c’est lâche !

— Pourquoi y a-t-il des gens qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas ? riposta d’un ton rogue le jeune garçon, qui sentait la justesse du reproche et ne voulait pas s’excuser.

— Oh ! fit la nièce de Mlle Dorothée qui reprenait déjà son enjouement, cela me regarde plus que vous ne pensez : si je m’en vais tout de suite, vous resterez lâ tous les deux comme maître Corbeau et maître Renard ! »

Jacques haussa les épaules :

« C’est peut-être vous qui aiderez mon ami à descendre !… Avez-vous une échelle dans votre poche ? »

Pas de réponse : la petite fille avait tourné bride et s’éloignait au trot.

L’habitant du châtaignier eut une exclamation de regret.

« Tu as tort de la laisser partir, elle avait peut-être une bonne idée.

— Bah ! la meilleure idée serait de prendre ton courage, d’attraper la branche que je t’indique !…

— Je t’ai déjà dit vingt fois que ça ne se peut pas. » >

Jacques, toujours plus perplexe, ne songea pas à railler ou à menacer de s’en aller seul, comme il n’eût pas manqué de le faire pour un autre camarade. Retourner aux Myrtes et ramener le domestique demanderait plus d’une heure ; faute d’un moyen plus simple, il allait le proposer à Philippe, lorsque Irène reparut.

Elle était à pied et parlait avec volubilité à un homme qui tenait la bride de la mule en riant de son récit.

« Quoi ! c’est vous, Raybaud ? s’écria Jacques tout à fait déconcerté.

— Moi-même, mon petit Jacques… où est-il ce fameux mousse qui n’ose pas descendre ?

— Là haut, sur la grosse branche qui remue ; sans ma main foulée, je l’aurais vite rejoint.

— Eh ! pécaïre ! j’en suis sûr !… mais de la main qui vous reste vous avez fait tout à l’heure de mauvaise besogne. »

D’un geste désapprobateur, Raybaud désigna la baguette que l’enfant n’avait pas lâchée. Puis, sans attendre que celui-ci eût trouvé une excuse, souple comme un jeune homme, il arriva, en quelques secondes, à la hauteur où le poltron continuait à se morfondre :

« Il faut donc venir vous chercher, dit-il ; vite, nous n’allons pas dormir ici. »

Son ton de bref commandement n’admettait pas de réplique, aussi, Philippe suivit-il avec docilité ses avis. Les deux spectateurs qui, d’en bas, observaient ses mouvements, le virent descendre de branche en branche et arriver à terre en poussant un grand soupir de soulagement.