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A. MOUANS

Mme Jouvenet, dont la santé se raffermit sous l’influence du doux climat, trouve la société de sa bonne et simple voisine plus agréable que celle des élégantes étrangères qui sont venues lui faire visite dès son arrivée. C’est également l’opinion de Mme Francœur ; elle déclare la femme du distillateur aussi aimable que les dames de Mortagne ! Les enfants lui plaisent, quoique Marthe soit plus brouillonne que jamais auprès de la sage Nadine. Pour les garçons, grand’mère s’en rapporte aux dires de son petit-fils ; or, l’avis de ce dernier est précisément le contraire de celui qu’elle aurait eu si elle avait jugé par elle-même.

Norbert, vif, un peu moqueur, mais plein de bon sens, n’est pas toujours un compagnon du goût de maître Philippe.

« C’est impossible, mon ami ; tu inventes, tu exagères », lui dit-il sans se gêner, toutes les fois que l’autre essaye de lui faire accepter une gasconnade de sa façon.

Jacques, au contraire, professe une admiration enfantine pour son nouvel ami, écoute ses histoires sans faire au beau conteur ni remarques, ni questions embarrassantes. Voilà pourquoi celui-ci a déclaré à sa grand’mère que le second fils de M. Brial est le plus gentil garçon du monde… après Philippe Jouvenet, bien entendu ; et la vieille dame s’est rangée sans discuter à l’avis de son enfant gâté.

Sur un autre point, Jacques et Philippe s’entendaient encore à merveille : ce dernier gardait rancune à Irène ; avec son amour-propre il était arrivé à se persuader que s’il avait eu un rôle peu brillant le jour de sa visite à la bastide Lissac, la faute en était à « cette fille mal élevée ». C’est ainsi qu’il la désignait, au grand contentement de Jacques toujours très malveillant lorsqu’il s’agissait de sa petite cousine qu’il n’avait cependant jamais vue qu’à distance !

« Pstt, pstt, que fais-tu là ? vous avez donc congé au collège aujourd’hui ? demanda Philippe en apercevant son ami au bord de la terrasse.

— Pas du tout, mais, regarde. » Jacques montra son poignet droit entouré de bandes, soutenu par une écharpe et ajouta ;

« Ce matin, à la leçon de gymnastique, je suis tombé.

— Ah ! mon Dieu, est-ce que ton bras est cassé ?

— Non, ce n’est qu’une foulure qui ne me fait plus de mal depuis que le médecin me l’a bandée, seulement, comme je ne peux pas écrire, ça me procure un congé.

— Tu as de la chance de n’avoir pas comme moi un professeur ; le mien trouverait moyen de me faire travailler quand même ; j’ai pioché avec lui toute la matinée. À présent on peut s’amuser ; je suppose que tu vas être mon second, puisque te voilà libre.

— Je ne demande pas mieux ; à quoi allons-nous jouer ?

— Regarde, et devine ce que je tiens là ? »

Philippe élevait au-dessus de sa tête une sorte d’étui en bambou gros et court.

« J’y pense, continua-t-il, tu ne peux pas savoir, je l’ai reçu hier soir de Paris et c’est une invention toute nouvelle : cette grosse canne contient un cerf-volant extraordinaire qui s’élève plus vite et beaucoup plus haut que les autres. Nous allons l’essayer tout de suite ; mais, pour cela, il vaudrait mieux être en pleine campagne.

— Attends-moi deux minutes, je vais prévenir maman. »

Jacques revint presque aussitôt, puis on se dirigea vers le sommet de la colline.

« Dans la plaine nous ne trouverions pas assez d’air, expliquait le jeune Grassois qui servait de guide à son compagnon, tandis que là-haut je connais un terrain avec des arbres d’un seul côté. »

Pendant qu’ils marchaient à travers les olivettes et les vignes, la langue de Philippe ne chôma pas ; il n’était jamais mieux à son affaire pour raconter qu’en l’absence de Norbert :

« Je me demande, dit-il, comment tu es tombé ?

— Dame, j’ai mal pris mon élan au trapèze, la barre était assez élevée et ce n’est pas ma faute, mais j’ai encore peur du vide. Norbert