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J. LERMONT

daignait se montrer, nous semblait aussi chaud qu’en été. Avec quelle vigueur nous nous remettions au travail en revenant de ces promenades !

Toutes nos grandes villes ont leur patinoire où l’on s’exerce de compagnie. Dans cette petite ville, le lac était le lieu de rendez-vous. Nous y retrouvions nos compagnes de classe et nous accomplissions ensemble mille prouesses sur la glace.

Hanna, l’Enfant de Mai, était aussi l’Enfant des Neiges ; elle patinait à merveille et nulle ne l’égalait, quand il s’agissait de difficultés à vaincre. Pour la vitesse, je l’ai dit déjà, Sigrid n’avait pas sa pareille, mais Hanna savait décrire sur la glace des arabesques compliquées. Ses patins y inscrivaient son nom. Elle prétendait valser et, certainement, elle tournait comme une toupie dorée, sa superbe toison d’or flottant sur ses épaules. Moi-même, sans me vanter, je m’en acquittais à merveille. Un jour, je me rappelle, côte à côte avec Sigrid pendant vingt bonnes minutes, il s’en fallut de peu qu’elle ne fût vaincue, notre champion. Cependant, elle arriva au but deux minutes avant moi. Sa réputation était sauve. Je me demande si, par générosité pour moi… Mais non, dans nos luttes, il n’y a pas d’amitié qui tienne, nous sommes féroces.

Riches, pauvres, tout le monde, en Finlande, est passionné pour ce sport, et il y a de grandes courses, où les vainqueurs ont pour récompenses de nombreux prix.

Un de nos jeux favoris était d’établir des glissades sur des pentes presque à pic. Les unes après les autres, nous nous laissions aller le long de la côte escarpée, dégringolant parfois plus vite que nous n’aurions voulu ; c’étaient des cris, des rires, une joie bruyante, car ces petits accidents sont sans danger dans la neige épaisse où nous nous étalions moelleusement.

Notre grand bonheur était de trouver pour ce jeu des endroits permettant d’installer trois ou quatre glissades montantes et descendantes. Je m’explique : nous choisissions un terrain tel que nous y ayons ce qu’on appelle dans certains pays le jeu des montagnes russes. Notre impulsion nous faisait remonter une pente, redescendre de l’autre côté, et encore remonter pour ne nous arrêter qu’en terrain plat. Je ne dirai pas que cela se passât sans chutes, par exemple, mais quel plaisir ! Nos compatriotes apprécient tellement ce jeu que, l’été, nous avons, comme dans les autres pays, nos montagnes russes artificielles. Cela ne vaut pas celles que l’hiver nous donne.

Un jeu nouveau pour moi fut celui que Hanna aimait à la folie et qu’elle appelait à sa manière « la valse enragée ». La première fois que je vis une longue perche à plat sur la glace, je me demandai dans quel but on l’avait si solidement fixée à un pieu ; je fus plus intriguée encore en regardant Hanna attacher soigneusement son traîneau à l’extrémité de la perche, mais je compris bientôt. Son traîneau décrivait un cercle autour du pieu qui en était le centre ; au bout de fort peu de temps, la vitesse devenait vertigineuse et c’était vraiment une ronde effrénée. On se fût cru sur un « carrousel » de chevaux de bois qui, subitement, auraient pris le mors aux dents. Il fallait être bien habile pour ne pas tomber. Heureusement, les exercices gymnastiques que nous pratiquons plus que tous les autres peuples, je crois, sauf les Suédois, nos voisins, nous donnent une extraordinaire souplesse et une agilité incomparable.

« Je suis comme les chats, disait Hanna, je retombe toujours d’aplomb. »

J’apprenais à faire de même…

« Eh bien, commences-tu à t’habituer ? me demanda un jour Aïno. Es-tu heureuse ici ? »

Comment ne l’aurais-je pas été, heureuse, avec la bonne affection de mes trois inséparables ? Nous nous aimions tant que ma petite sœur, Elsa, en était jalouse ; pourtant je ne l’oubliais pas, la mignonne, et mes lettres arrivaient fidèlement à leur jour.

Une si grande amitié ne pouvait se traiter comme une chose ordinaire. Hanna, toujours en éveil, nous en informa un bel après-midi.

« Minna, Sigrid, Aïno, venez vite, j’ai une communication importante à vous faire. »