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JULES VERNE

sont redoutables à certains fauves. Là grima­ çaient divers types de ces colobes, les véri­ tables dandys, les petits maîtres les plus élé­ gants de la race simienne, sans cesse occupés à brosser, à lisser de la main cette pèlerine blanche qui leur a valu le nom de colobes à cainail. Cependant cette escorte, qui s’était rassem­ blée après le repas de midi, disparut vers deux heures, alors que Max Huber, John Cort, Khainis et Llanga cheminaient le long d’un assez large sentier qui se poursuivait sur une éten­ due de plusieurs kilomètres. S’ils avaient lieu de se féliciter des avan­ tages de cette route aisément praticable, ils eurent à regretter la rencontre des animaux qui l’avaient sans doute faite. C’étaient deux rhinocéros, dont le ronfle­ ment prolongé retentit un peu avant quatre heures à une courte distance. Khamis ne s’y trompa point et fit signe à ses compagnons de s’arrêter : « Mauvaises bêtes, ces rhinocéros !... dit-il en ramenant la carabine qu’il portait en ban­ doulière. — Très mauvaises, répliqua Max Huber, et, pourtant, ces animaux ne sont que des herbi­ vores... — Qui ont la vie dure ! ajouta Khamis. — Que devons-nous faire ?... demanda John Cort. — Essayer de passer sans être vus, répon­ dit Khamis, ou tout au moins nous cacher pendant le passage de ces rhinocéros... Peutêtre ne nous apercevront-ils pas ?... Néan­ moins, soyons prêts à tirer, si nous sommes découverts, car ils fonceront sur nous ! » Les carabines furent visitées, les car­ touches disposées de manière à être renou­ velées rapidement. Puis, s’élançant hors du sentier, tous quatre disparurent derrière les épaisses broussailles qui le bordaient à droite. Cinq minutes après, les mugissements s’étant accrus, apparurent les monstrueux pachydermes. Ils filaient grand trot, la tête haute, la queue enroulée sur leur croupe, ces animaux longsde trois àquatre mètres,oreilles

droites, jambes courtes et torses, museau tronqué armé d’une seule corne capable de formidables coups. Et telle est la dureté de leurs mâchoires qu’ils peuvent impunément broyer des cactus aux rudes piquants comme les ânes mangent des chardons. Le couple fit brusquement halte. Khamis et les autres ne doutaient pas qu’ils ne fussent dépistés. L’un des rhinocéros. — un monstre à peau rugueuse et sèche, — s’approcha des brous­ sailles. Max Huber le mit en joue : « Ne tirez pas à la culotte mais à la tête... » lui cria le foreloper. line détonation retentit, puis deux, puis trois. Les balles pénétraient à peine ces épaisses carapaces et furent autant de coups en pure perle. Ces animaux, de l’espèce ketloa, à la peau blanchâtre, presque dépourvue de poils, as­ sourdissaient l’oreille de leurs meuglements. Les détonations ne les intimidèrent ni ne les arrêtèrent et ils se disposèrent à franchir Le fourré. Il était évident que cet amas de ronces et de broussailles ne pourrait opposer un obstacle à ces puissantes bêtes. En un instant, tout serait ravagé, saccagé, écrasé. Après avoir si difficilement échappé aux éléphants de la plaine, Khamis et ses compagnons échapperaient-ils aux rhinocéros de la grande forêt ?... Que les pachydermes aient le nez en trompe ou le nez en corne, ils s’égalent en vigueur... Et, ici, il n’y aurait pas cette lisière d’arbres qui avait barré le passage aux élé­ phants lancés à fond de train. Si le foreloper, John Cort, Max Huber, Llanga tentaient de s’enfuir vers les profondeurs du massif, ils seraient poursuivis, ils seraient atteints. Les réseaux de lianes retarderaient leur course, alors que les rhinocéros passeraient comme une avalanche. An milieu de ci* fourré poussaient cepen­ dant quelques arbres. Entre autres un baobab énorme offrirait un refuge si l’on parvenait à se hisser jusqu’à scs premières branches. Ce serait renouveler la manœuvre exécutée