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JULES VERNE

fréquenté par de puissants quadrupèdes ; les passées s’y multipliaient dans tous les sens. Et de fait, au cours de la matinée, on aper­ çut un certain nombre de buffles et même un couple de rhinocéros qui se tenaient à dis­ tance. Comme ils n’étaient point d’humeur batailleuse, sans doute, il n’y eut pas lieu de dépenser les cartouches à repousser une attaque. La petite troupe ne s’arrêta que vers midi, ayant franchi une bonne douzaine de kilo­ mètres. En cet endroit, John Cort put abattre une couple d’outardes de l’espèce des korans qui vivent dans les bois, volatiles au plumage d’un noir de jais sous le ventre. Leur chair, très estimée des indigènes, inspira cette fois la même estime à un Américain et à un Fran­ çais au repas de midi. « Je demande, avait toutefois dit Max Huber, que. l’on substitue le rôti aux gril­ lades... — Rien de plus facile ! » s’était hâté de répondre le foreloper. Et une des outardes, plumée, vidée, embro­ chée d’une baguette, rôtie à point devant une liamme pétillante, fut dévorée à belles dents. Khamis et ses compagnons se remirent en route a travers les massifs, dans des condi­ tions plus pénibles que la veille. A suivre la direction du sud-ouest, les passées sc pré­ sentaient moins fréquemment. Il fallait se frayer un chemin entre les broussailles, aussi drues que les lianes dont les cordons durent être tranchés au couteau. La pluie vint à tomber pendant quelques heures, — une pluie assez abondante. Mais telle était l’épais­ seur des frondaisons que c’est à peine si le sol en recevait quelques gouttes. Toutefois, au milieu d’une clairière, Khamis put remplir la gourde presque vidée déjà, et il y eut lieu de s’en féliciter. En vain, le foreloper avait-il cherché quelque filet liquide sous les herbes. De là, probablement, la rareté des animaux et des sentiers praticables en cette partie de la forêt. « Cola n’annonce guère la proximité d’un

cours d’eau », fit observer John Cort, lorsque l’on s’installa pour la halte du soir. D’où cette conséquence s’imposait : c’est que le rio qui coulait non loin du tertre aux tamarins obliquait vers l’ouest sans traverser la forêt. Néanmoins, il fut convenu que la direction, prise jusqu’alors, ne serait pas modifiée, et avec d’autant plus de raison que cet itinéraire aboutissait par le plus court au bassin de l’Oubanghi. « Et d’ailleurs, dit Khamis, à défaut du cours d’eau que nous avons aperçu avant-hier au campement, ne peut-il s’en rencontrer un autre dans l’ouest ? » Cette nuit du 11 au 12 mars ne se passa pas entre les racines d’un cotonnier, mais au pied d’un arbre non moins gigantesque, un bombax, dont le tronc symétrique s’élevait tout d’un jet à la hauteur d’une centaine de pieds au-dessus de l’épais tapis du sol. La surveillance s’établit comme, d’habitude, et le sommeil ne fut troublé que par quelques lointains meuglements de buffles et de. rhino­ céros. Il n’était pas à craindre que le rugisse­ ment du lion se. mêlât à ce concert nocturne. Ces redoutables fauves n’habitent guère les forêts de l’Afrique centrale. Ils sont les hôtes des régions plus élevées en latitude, soit au delà du Congo vers le sud, soit sur la limite du Soudan vers le nord, régions voisines du Sahara. Les fourrés de ces immenses bois ne conviennent pas au caractère capricieux, à l’allure indépendante du roi des animaux, — roi d’autorité et non roi constitutionnel. 11 lui faut de plus grands espaces, des plaines inondées de soleil où il puisse bondir en toute liberté. Si les rugissements ne sc firent pas en­ tendre, il en fut de même des grognements de l’hippopotame, — ce qui était regrettable, con vient-il de noter, car la présence de ces mammifères amphibies eût indiqué la proxi­ mité d’un cours d’eau. Le lendemain, départ dès l’aube par temps sombre, et coup de carabine de Max lluber, qui abattit une antilope de la taille d’un âne ou plus exactement d’un zèbre, type intermé-