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LA GRANDE FORÊT

équatoriale, est-ce que la légende n’avait pas signalé des êtres à un degré inférieur de l’hu­ manité, des êtres quasi-fabuleux ?... Est-ce que cette forêt de l’Oubanghi n’avoisinait pas, à l’est, les territoires reconnus par Schweinfurlh et Junker, le pays des NiamXiam, ces hommes à queue, qui, il est vrai, ne possédaient aucun appendice caudal ?... Est-ce que Henry Stanley, dans les contrées an nord de l’Itouri, n avait pas rencontré des pygmées hauts de moins d’un mètre, par­ faitement constitués, à peau luisante et fine, aux grands yeux de gazelle, dont le mission­ naire anglais Albert Lhyd a constaté l’existence entre l’Ouganda et la Cabinda, plus de dix mille, abrités sous la ramure ou perchés sur les grands arbres, des Bambusti, ayant un chef auquel ils obéissaient docilement ?... Est-ce que dans les bois de Ndouqourbocha, après avoir quitté Ipoto, il n’avait pas traversé cinq villages, abandonnés de la veille par leur population lilliputienne ?... Est-ce qu’il ne s’était pas trouvé en présence de ces Ouambouttis, Batinas, Akkas, Bazoungons, dont la stature ne dépassait pas cent, trente centi­ mètres, réduite même, pour certains d’entre eux, à quatre-vingt-douze, et d’un poids infé­ rieur à quarante kilogrammes ?... Et, cepen­ dant,ces tribus n’en étaient pas moins intelli­ gentes, industrieuses,guerrières, redoutables, avec leurs petites armes, aux animaux comme aux hommes, et très craintes des peuplades agricoles des régions du haut Nil ?...

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Aussi, emporté par son imagination, son appétit des choses extraordinaires, Max Huber s’obstinait-il à croire que la forêt de l’Ou­ banghi devait renfermer des types étranges, dont les ethnographes ne soupçonnaient pas l’existence. Pourquoi pas des humains qui n’auraient qu’un œil comme les Cyclopes de la Fable, ou dont le nez, allongé en forme de trompe, permettrait de les classer, sinon dans l’ordre des pachydermes, du moins dans la famille des proboscidiens ?..., Max Huber se laissait entraîner à des rêve­ ries scientifico-fantaisistes, oubliant tant soit peu son rôle de sentinelle. L’ennemi se fût approché sans avoir été signalé à temps pour que Khamis et John Cort pussent se mettre sur la défensive... Une main se posa sur son épaule. « Eh !... quoi ?... fit-il en sursautant. — C’est moi, lui dit son compagnon, et ne me prends pas pour un sauvage de l’Ouban­ ghi !... Rien de suspect ?... — Rien... — 11 est l’heure à laquelle il est convenu que vous iriez vous reposer, mon cher Max... — Soit, mais je serai bien étonné si les rêves que je vais faire en dormant valent ceux que j’ai faits sans dormir ! » La première, moitié de cette nuit n’avait point été troublée, la seconde ne le fut pas davantage, lorsque John Cort eut remplacé Max Huber, et lorsque* Khamis eut relevé de. sa faction John Cort.

VI Toujours en direction du sud-ouest.

Le lendemain, à la date du 11 mars, par­ faitement remis des fatigues de la veille, John Cort, Max Huber. Khamis et Llanga se disposèrent à braver celles de cette seconde journée de marche. Après avoir quitté l’abri du cotonnier, ils firent le tour de la clairière, salués par des myriades d’oiseaux qui remplissaient l’espace de trilles assourdissants et de points d’orgue à rendre jaloux les Patti et autres virtuoses de la musique italienne.

Avant de se mettre en route, la sagesse commandait de faire un premier repas. 11 se composa uniquement de la viande froide d’an­ tilope, de l’eau d’un ruisseau, qui serpen. tait sur la gauche, et auquel fut remplie la gourde du foreloper. Le début de l’étape se fit à droite, sous les ramures que traversaient déjà les premiers rayons du soleil, dont la position fut relevéo avec soin. Évidemment ce quartier de la forêt était