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JULES VLB NE

— Faisons comme si nous ne devions pas profiter d’une rivière, répliqua John Cort. Après tout, un voyage d’une trentaine de jours, si les difficultés ne sont, pas plus insur­ montables que pendant cette première jour­ née, ce n’est pas pour effrayer des chasseurs africanisés comme nous le sommes ! — Et encore, ajouta Max Iluber, je crains bien que cette mystérieuse forêt ne soit tota­ lement dépourvue de mystère ! — Tant mieux, Maxl — Tant pis, John !— El, maintenant, Llanga, allons dormir... — Oui, mon ami Max », répondit l’enfant, dont les yeux se fermaient de sommeil, après les fatigues d’une longue route sur laquelle il n’était jamais resté en arrière. Aussi fallut-il le transporter entre les racines du cotonnier, et l’accoter dans le meilleur coin. Le foreloper s’était offert à veiller toute la nuit. Ses compagnons n’v voulurent point con­ sentir. On se relayerait de trois heures en trois heures, bien que les entours de la clai­ rière ne parussent pas suspects. Mais la pru­ dence commandait d’être sur ses gardes jus­ qu’au lever du jour. Ce fut Max Iluber qui prit la première fac­ tion près du foyer éteint, tandis que John Cort et Khamis s’étendaient sur le blanc duvet tombé de l’arbre. Max Iluber, sa carabine chargée à portée de la main, appuyé contre une des racines, s’abandonna au charme de cette tranquille nuit. Dans les profondeurs de la grande forêt, tous les bruits du jour avaient cessé. 11 ne passait entre les ramures qu’une haleine régulière, la respiration de ces arbres endor­ mis. Les rayons de la lune, très élevée vers le zénith, glissaient par les interstices du feuillage et zébraient le sol de zigzags argen­ tes. Au delà de la clairière, les dessous s’illu­ minaient aussi du scintillement des irradia­ tions lunaires. Très sensible à cette poésie de la nature, Max Huber la goûtait, l’aspirait, pourrait-on dire, croyait, rêver parfois et cependant ne dormait point. Ne lui semblait-il pas qu’il fût

le seul être vivant au milieu de ce monde végétal ?... Monde végétal, c’était bien ce que son ima­ gination faisait de cette grande forêt de l’Otibanghi ! « Et, pensait-il, si l’on veut pénétrer les derniers secrets du globe, faut-il donc aller jusqu’aux extrémités de son axe, pour décou­ vrir ses derniers mystères ?... Pourquoi, au prix d’effroyables dangers et à la condition de rencontrer des obstacles peut-être infranchis­ sables, pourquoi tenter la conquête des deux pôles ?... Qu’en résulterait-il ?... La solution de quelques problèmes de météorologie, d’électricité, de magnétisme terrestre !... Cela vaut-il que l’on ajoute tant de noms aux nécrologies des contrées australes et bo­ réales ?... Est-ce qu’il ne serait pas plus utile, plus curieux, au lieu de courir les mers arc­ tiques et antarctiques, de fouiller les aires infi­ nies de ces forêts et de vaincre leur farouche impénétrabilité ?... Comment ! il en existe de telles en Amérique, en Asie, en Afrique, et aucun pionnier n’a eu jusqu’ici la pensée d’en faire son champ de découvertes, ni le courage de se lancer à travers cet inconnu ?... Per­ sonne n’a encore arraché à ces arbres le mot de leur énigme comme les anciens aux vieux chênes de Dodone ?... Et n’avaient-ils pas eu raison, les mythologistes, de peupler leurs bois de faunes, de satyres, de dryades et d’hamadryades, de nymphes imaginaires ?... D’ailleurs, pour se restreindre aux données de la science moderne, ne peut-on admettre, en ces immensités forestières, l’existence d’êtres nouveaux, appropriés aux conditions de cet habitat ?... A l’époque druidique, est-ce que la Gaule transalpine n’abritait pas des peuplades à demi sauvages, des Celtes, des Germains, des Ligures, des centaines de tri­ bus, des centaines de villes et de villages, ayant leurs coutumes particulières,’ leurs mœurs personnelles, leur originalité native, à l’intérieur de ces forêts dont la toute-puis­ sance romaine ne parvint pas sans grands efforts à forcer les limites ?... » Ainsi songeait Max Iluber. • Or, précisément, en ces régions de l’Afrique