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trement que je pensois estre morte. Il dessent en bas et trouve ses soldatz auxquelz il assura de m’avoir vue chez madlle d’Esprunes qui avoit ung filz évesque de Senlis, qu’ilz estoient bons catholiques et congneus de tous pour telz. Les soldats luy répliquèrent fort bien qu’ilz ne demandoient pas de ceux là, mais de moy. Il leur dit qu’il m’avoit veue autrefois bonne catholique, mais qu’il ne pouvoit respondre sy je l’estois lors. A l’heure mesmes arriva une honneste femme qui leur demanda que c’est qu’ilz me vouloient faire ; ilz luy dirent : « Pardieu, c’est une huguenotte qu’il faut noyer, car nous voyons comme elle est effrayée, » et à la vérité, je pensois qu’ilz m’allassent jetter dans la rivière ; elle leur dit : « Vous me congnoissez, je ne suis point huguenotte, je vas tous les jours à la messe, mais je suis sy effrayée que depuis huit jours, j’en ay la fièbvre ; » l’ung des soldatz respond : « Pardieu, et moy et tout, j’en ay le bec tout galeux. » Ainsy me remettent dans le bateau me disant que, sy j’estois ung homme, je n’en reschapperay pas à sy bon marché. Le mesme temps que j’estois arrestée au bateau, le logis où je venois de sortir estoit fouillé ; sy j’eusse esté trouvée dedans, j’eusse coureu danger. Nous fismes nostre voyage et la nuit nous print en ung lieu qui s’appelloit le petit Laborde. Toute l’après dinée ces moynes et ces marchands ne faisoient que parler en réjouissance de ce qu’ilz avoient veu à Paris, et comme je disois ung mot, ilz me disoient que je parlois en huguenotte ; je ne peu faire autre chose que faire la dormeuse pour n’avoir subject de leur respondre. Comme je feus dessendue, j’apperçeu le dit Minier