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dit des enfers. Le fleuve d’oubli était, selon eux, l’égarement de l’âme, qui a perdu de vue la dignité de l’existence dont elle jouissait avant sa captivité, et qui n’imagine pas qu’elle puisse vivre ailleurs que dans un corps. Par le Phlégéthon, ils entendaient la violence des passions, les transports de la colère ; par l’Achéron, les regrets amers que nous causent, dans certains cas, nos actions, par suite de l’inconstance de notre nature ; par le Cocyte, tous les événements qui sont pour l’homme un sujet de larmes et de gémissements ; par le Styx enfin, ils entendaient tout ce qui occasionne parmi nous ces haines profondes qui font le tourment de nos âmes.

Ces mêmes sages étaient persuadés que la description des châtiments, dans les enfers, était empruntée des maux attachés aux passions humaines. Le vautour qui dévore éternellement le foie toujours renaissant de Prométhée est, disaient-ils, l’image des remords d’une conscience agitée, qui pénètrent dans les replis les plus profonds de l’âme du méchant, et la déchirent, en lui rappelant sans cesse le souvenir de ses crimes : en vain voudrait-il reposer ; attachés à leur proie qui renaît sans cesse, ils ne lui fout point de grâce, d’après cette loi, que le coupable est inséparable de son juge, et qu’il ne peut se soustraire à sa sentence.

Le malheureux tourmenté par la faim, et mourant d’inanition au milieu des mets dont il est environné, est le type de ceux que la soif toujours croissante d’acquérir rend insensibles aux biens qu’ils possèdent : pauvres dans l’abondance, ils éprouvent, au milieu du superflu, tous les malheurs de l’indigence, et croient ne rien avoir, parce qu’ils n’ont pas tout ce qu’ils voudraient avoir. Ceux-là sont attachés à la roue d’Ixion, qui, ne montrant ni jugement, ni esprit de conduite, ni vertus, dans aucune de leurs actions, abandonnent au hasard le soin de leurs affaires, et sont les jouets des événements et de l’aveugle destin. Ceux-là roulent sans fin leur rocher, qui consument leur vie dans des recherches fatigantes et infructueuses. Le Lapithe, qui craint à chaque instant la chute de la roche noire suspendue sur sa tête, représente le tyran parvenu, pour son malheur, au sommet d’une puissance illégale : continuellement agité de terreurs, détesté de ceux dont il veut être craint, il a toujours sous les yeux la fin tragique qu’il mérite.

Ces conjectures des plus anciens théologiens sont fondées ; car Denys, le plus cruel des usurpateurs de la Sicile, voulant détromper un de ses courtisans, qui le croyait le plus heureux des hommes, et lui donner une idée juste de l’existence d’un tyran que la crainte agite à chaque instant et que les dangers environnent de toutes parts, l’invita à un repas splendide, et fit placer au-dessus de sa tête une épée suspendue à un léger fil. La situation pénible de l’homme de cour l’empêchant de prendre part à la joie du banquet : Telle est, lui dit Denys, cette vie qui vous paraissait si heureuse ; jugez du bonheur de celui qui, toujours menacé de la perdre, ne peut jamais cesser de craindre !

Selon ces assertions, s’il est vrai que chacun de nous sera traité selon ses œuvres, et qu’il n’y ait d’autres enfers que nos corps, que faut-il entendre par la mort de l’âme, si ce n’est son immersion