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appréciera mieux dans ce fait le luxe de ce siècle, quand on sauraque Pline le jeune soutient que, de son temps, il était rare qu'on trouvât un mulet pesant au delà de deux livres. Aujourd'hui on en trouve facilement d'un poids plus considérable; et néanmoins ces prix extravagants sont inconnus parmi nous. Cette gloutonnerie des Romains ne leur permit pas de se contenter des richesses de leur mer. Octave, préfet de flotte, sachant que le scare était si inconnu sur les rivages italiques qu'il n'a pas même de nom en latin, y transportasur des navires à viviers une quantité incroyable de ces animaux, qu'il répandit dans la mer, entre Ostie et les côtes de la Campanie; donnant ainsi l'étrange et nouvel exemple de semer les poissons dans la mer, de même qu'on sème sur la terre certains fruits. Et comme si cette entreprise devait être fort utile au public, il tint la main pendant cinq ans à ce que si quelqu'un, parmi d'autres poissons, prenait par hasard un scare, il le rendît aussitôt à la mer, sans lui faire aucun mal. Mais pourquoi s'étonner que les gourmands de cette époque aient payé leur tribut à la mer, puisque nous voyons que le loup du Tibre fut en grand, en très grand honneur auprès des prodigues, et en général tous les poissons de ce fleuve? J'en Ignore la raison, mais M. Varron l'atteste. Parcourant les meilleurs objets de consommation que produisent les différentes parties de l'Italie, il donne la palme, en ces mots, au poisson du Tibre, dans son traité Des choses humaines, livre onzième :

Ad victum optima fert ager Campanus frumentum, Falernus vinum, Cassinas oleum, Tusculanus ficum, mel Tarentinus, piscem Tiberis « La Campanie produit le meilleur blé pour faire le pain; Falerne, le meilleur vin ; Cassinum, la meilleure huile; Tusculum, les meilleures figues; Tarente, le meilleur miel ; IeTibre,les meilleurs poissons. »

Varron parle de tous les poissons de ce fleuve; mais le loup, comme je l'ai dit plus haut, était parmi eux le plus recherché, particulièrement celui qu'on prenait entre les deux ponts. C'est ce qui est prouvé par plusieurs témoignages, mais surtout par C. Titius, contemporain de Lucile, dans son discours pour la loi Fannia. Je cite ses paroles, non seulement parce qu'elles prouveront ce que j'avance au sujet du loup pris entre les deux ponts, mais encore parce qu'elles mettront au jour quelles étaient alors les mœurs d'un grand nombre de gens. Pour dépeindre ces hommes prodigues, allant ivres au forum, afin d'y juger, et rapportant leurs entretiens ordinaires, Titius s'exprime ainsi

Ludunt alea studiose, delibuti unguentis, scortis stipati. Ubi horae decem sunt, iubent puerum vocari, ut comitium eat percontatum, quid in foro gestum sit, qui suaserint, qui dissuaserint, quot tribus iusserint, quot vetuerint. Inde ad comitium vadunt, ne litem suam faciant. Dum eunt, nulla est in angiporto amphora quam non inpleant, quippe qui vesicam plenam vini habeant. Veniunt in comitium: tristes iubent dicere: quorum negotium est narrant: iudex testes poscit: ipsus it minctum: ubi redit, ait se omnia audivisse: tabulas poscit, litteras inspicit: vix prae vino sustinet palpebras. Eunt in consilium: ibi haec oratio: Quid mihi negotii est cum istis nugatoribus potius quam potamus mulsum mixtum vino Graeco, edimus turdum pinguem bonumque piscem, lupum germanum qui inter duos pontes captus fuit?

« Ils jouent aux dés, soigneusement parfumés, entourés de courtisanes. Quand la dixième heure arrive, ils mandent un esclave pour aller dans le comitium, informer de ce qui se passe au forum ; qui propose la loi, qui la combat ; ce qu'ont décrété les tribus, ce qu'elles ont prohibé. Enfin ils s'acheminent vers le comitium, de peur d'être responsables personnellement des affaires qu'ils auraient négligé de juger. Chemin faisant, il n'est point de ruelle dont ils n'aillent remplir le vase à urine; car ils ont toujours la vessie pleine, par suite de la quantité de vin qu'ils boivent. Ils arrivent d'un air ennuyé dans le comitium: ils ordonnent de commencer à plaider, les parties exposent leur affaire, le juge réclame les témoins, et va uriner; au retour, il prétend avoir tout entendu, et demande les dépositions écrites; il y jette les yeux, mais à peine peut-il tenir les paupières soulevées, tant ii est accablé par le vin. En allant délibérer voici quels sont ses propos : Qu'ai-je affaire de ces sottises? Que ne buvons-nous