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dant tout le reste du jour chacun jeta publiquement ses soupçons sur un homme qui est aussi éloigné de la tyrannie que vous pouvez l’être du ciel. Mais depuis, la seigneurie ayant écrit au pape eu sa faveur, il a vu qu’il n’avait plus rien à craindre des ennemis qu’il a dans Florence. Il avait d’abord cherché à réunir ses partisans, en versant l’odieux sur ses adversaires, et en cherchant à les effrayer par le nom de tyran ; mais aujourd’hui que ces moyens violents lui sont devenus inutiles, il a changé d’allure : il exhorte chacun à la concorde ; il ne parle plus ni de tyran ni de la scélératesse de ses rivaux : il cherche à exciter tous les partis en général, et chacun en particulier, à se soulever contre Sa Sainteté et ses agents, qu’il traite comme on ne traiterait pas les plus vils et les derniers des hommes. C’est ainsi, selon moi, qu’il s’accommode au temps, et qu’il tâche décolorer ses mensonges. Je sais combien vous êtes prudent ; c’est donc à vos lumières que je laisse a juger de ce que l’on dit dans le public, et de ce que l’on peut espérer ou craindre d’un pareil homme. Vous pouvez d’autant mieux asseoir votre opinion, que vous connaissez mieux que moi les divers partis qui divisent notre ville, les circonstances qui gouvernent le temps actuel, et que vous êtes, pour ainsi dire, à Rome l’âme du souverain pontife. Je vous prie seulement, si la lecture de ma lettre ne vous a pas trop fatigué, de ne point regarder comme une tâche pénible de me répondre, et de me faire connaître le jugement que vous portez et de l’esprit des temps et de celui que nous apportons dans nos propres affaires. Vale.

Votre dévoué,

Nicolò di Bernardo Machiavelli.

Florence, le 8 mars 1497