Page:Machaut - Œuvres, éd. Hœpffner, I.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LXXX INTRODUCTION


core très répandue au moment où Machaut écrivit son Jugement dou Roy de Navarre, car Guillaume se voit dans la nécessité de narrer l’aventure dans tous ses détails. Elle était donc inconnue au public auquel il s’adressait, et lui-même peut-être alors ne connaissait-il pas non plus la vaste compilation de Chrétien[1]. C’est, par conséquent, un récit original que donne Machaut, et c’est de nouveau dans Ovide qu’il en trouve les données principales. Les épitres xviii et xix des Héroïdes, apocryphes en réalité, mais attribuées à Ovide par les auteurs médiévaux, contenaient presque tous les éléments de son « exemple » : les noms de Hero, de Leandre devenu Leandus, et d’Abidois, la nourrice qui seule est initiée au secret de leur amour (xviii, 97 ; 115  ; xix, 19), Leandre traversant, « tous nus », le bras de mer à la nage (xxiii, 57-58) et Hero l’attendant sur sa tour et le guidant par la lueur d’ « un sierge ardant » (xviii, 31 ; 105-106 ; xix, 33 ss.), puis la mer en colère (xviii, 7-8 ; 26), la lutte de l’amant entre son amour et la crainte du danger (xviii pass.), les angoisses, le désespoir et les prières de l’amante (xix pass.)[2]. Cependant le dénouement

  1. Il existe entre le long récit de Chrétien et le passage plus court de Guillaume certaines différences qui témoignent de l’indépendance de ce dernier vis-à-vis de l’Ovide moralisé. Le fait est d’autant plus significatif qu’ils ont puisé lun et l’autre à la même source, aux Héroïdes d’Ovide.
  2. Certains vers de Machaut rappellent d’assez près les termes même du poète latin : p. ex. la mer démontée (v. 324902) les « fréta ventis turbida » d’Ovide (xviii, 7-8), les vers 3263-4 le vers 137 de l’Epître xviii : « Fluctibus immodicis Athamantidos aequora canent ».