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INTRODUCTION LXIX


n’essaie pas de nous faire prendre le change : à diverses reprises, il se nomme en toutes lettres dans le corps même de la pièce, contre son habitude qui est de ne » donner son nom que par anagramme. Pourquoi ici cette exception ? Il faut encore l’expliquer par le rapport qui relie ce poème au Jugement dou Roy de Behaingne. Le jugement attribué au roi Jean, mais qui en réalité était de Machaut lui-même, a dû se heurter à des critiques violentes et nombreuses, surtout de la part des dames ; le poète, dans sa pièce même, nous l’a bien fait entrevoir[1]. C’est pour leur plaire et se concilier de nouveau leurs bonnes grâces qu’il a composé ce nouveau poème, où, tout en ayant l’air de défendre son premier jugement, il finit par se prononcer dans le sens exactement contraire[2]. Or, afin de faire savoir nettement à tout le monde que c’est lui, Guillaume, qui se soumet ainsi au bon plaisir des dames, il importait d’éviter toute équivoque : un anagramme aurait pu laisser subsister des doutes ; force lui était donc de se nommer clairement, comme il l’a fait.

C’est un portrait bien vivant et finement nuancé que Guillaume donne ici de lui-même, se montrant d’abord soucieux des maux dont est frappée l’humanité autour de lui et inquiet pour sa propre vie au milieu des ravages

  1. Cela ressort clairement du vers 811 : « Vers les dames estes forfais ». On a vu que plus tard Martin Le Franc proteste également contre la décision de Machaut. Un siècle après Guillaume, la Belle dame sans merci d’Alain Chartier eut absolument le même sort.
  2. Ce n’est pas là un fait isolé à cette époque : avant Machaut, Nicole Bozon écrit De la bonté des femmes, pour atténuer son Char d’orgueil ; et plus tard, Jean Le Fevre, après avoir traduit en vers français les Lamentations de Matheolus, réfute point pour point cet ouvrage danç un nouveau poème, le Livre de Leesce.