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m’étais montré injuste à son égard durant les années qui suivirent l’inventaire paternel. Je reconnais aujourd’hui qu’il a été à cet égard la perfection même. On le taxait d’avarice, et je crois qu’on avait raison. Mais l’avarice est à peine l’exagération d’une vertu, et les vertus sont comme les budgets : mieux vaut qu’il y ait solde que déficit. Comme il était très sec dans ses manières, ses ennemis l’accusaient d’être barbare. On pouvait bien alléguer qu’il faisait fréquemment fustiger ses esclaves jusqu’au sang. Mais outre qu’il ne faisait fouetter que les pervers et les fuyards, il faut dire à sa décharge qu’ayant fait pendant longtemps la contrebande de l’ébène, il s’était habitué à traiter les nègres avec plus de brutalité qu’il ne conviendrait peut-être ; on ne peut en tout cas honnêtement attribuer au naturel d’un individu ce qui est un pur résultat des relations sociales. La preuve que Cotrim avait des sentiments, c’est la douleur qu’il éprouva, quelques mois plus tard, quand il perdit sa fille Sara ; et cette preuve est irréfutable. Il était trésorier d’une confrérie, et affilié à différents tiers ordres, ce qui ne concorde guère avec sa réputation d’ava-