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et, par-dessus tout, beaucoup de rêverie. Mon oncle, le chanoine, mourut dans cet intervalle ; item, deux cousins. Leur mort me laissa froid. Je les conduisis au cimetière comme on porte de l’argent en banque ; que dis-je ?… comme on porte des lettres à la poste. J’y collai le timbre, je les donnai au facteur, et je lui laissai le soin de les remettre en main propre. Ce fut à peu près à cette époque que naquit ma nièce Venancia, fille de Cotrim. Les uns naissaient, les autres mouraient ; je continuai à vivre avec les mouches.

Parfois aussi, je m’agitais. Je retournais mes tiroirs ; je retrouvais d’anciennes lettres, d’amis, de parents, de maîtresses, voire de Marcelina. Je les ouvrais toutes, je les relisais une à une et je revivais le passé. Lecteur ignare, si tu ne conserves pas tes lettres de jeunesse, tu ne connaîtras pas un jour la philosophie des feuilles mortes ; tu ne connaîtras pas la jouissance de te revoir très loin dans une pénombre, avec un grand tricorne, des bottes de sept lieues et des barbes assyriennes, danser au son d’un accordéon anacréontique. Garde tes lettres de jeunesse.