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pour que je ne lui posasse aucune question. Je me rappelai alors que la première fois que je l’avais vue, la veille, elle s’était approchée lentement du fauteuil de sa mère, et que ce jour-là je l’avais trouvée, en arrivant, déjà près de la table, dans la salle à manger. Peut-être était-ce pour cacher ce défaut. Mais alors, pourquoi l’avouait-elle maintenant ? Je la regardai, et je vis qu’elle était triste.

J’essayai de détruire le mauvais effet produit. Ce ne me fut pas difficile ; sa mère qui était, comme elle le disait elle-même, une vieille curieuse, se mit à causer. Nous parcourûmes toute la propriété, admirant les fleurs, la mare aux canards, le lavoir, un tas de choses qu’elle me montrait en faisant ses commentaires, tandis que je contemplais, à la dérobée, les yeux d’Eugenia.

Parole d’honneur, son regard n’était rien moins que boiteux : il était au contraire droit et parfaitement sain. Il partait de deux yeux noirs et tranquilles. Je crois me rappeler que ceux-ci se baissèrent deux ou trois fois, un peu confus, mais deux ou trois fois seulement. En général, ils me fixaient avec franchise, sans audace, ni pruderie.