Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/119

Cette page a été validée par deux contributeurs.

a une manière si gracieuse de regarder les gens.

Je souris, et après quelque hésitation, je lui glissai dans la main une cruzade d’argent. J’enfourchai ma monture, et je partis à large trot, un peu gêné, ou pour mieux dire, un peu incertain de l’effet qu’aurait produit ma pièce. Mais un peu plus loin, je retournai la tête, et je vis le muletier qui faisait de grandes courbettes, avec les marques les plus évidentes du contentement. Je me dis qu’il ne pouvait en être autrement, que je l’avais fort bien payé, trop bien payé même. Je glissai les doigts dans la poche du gilet que je portais sur moi, et j’y découvris quelques monnaies de cuivre. C’était les sous et non la pièce d’argent que j’aurais dû donner au muletier. Car après tout, il n’avait eu en vue aucune récompense. Ce n’était point la réflexion, mais une impulsion naturelle, innée ou inhérente au métier, qui l’avait fait agir. De plus, le fait de s’être trouvé justement sur le lieu du désastre, plutôt qu’en avant ou en arrière, semblait faire de lui un simple instrument de la Providence. De toutes les manières le mérite était nul. Je demeurai tout attristé de cette ré-