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CHAPITRE XXVI

en Turquie ; il en a été et il en sera toujours ainsi ; le Turc a été grand conquérant, mais n’a jamais eu le moindre sens de l’administration. La machine gouvernementale a toujours été rouillée ; il faut un Sultan de génie pour la faire à peu près fonctionner et, lui disparu, tout retombe dans la vieille routine.

La route de Môsoul à Diarbekr a eu le même sort que celle de Van à Erzeroum ; quelques kilomètres achevés, on fit une inauguration solennelle, de beaux rapports bien ronflants, justifiant de l’emploi des fonds, et tout en resta là. L’argent était dûment sorti des caisses du Sultan, mais pour passer dans les poches de ses fonctionnaires !

Le Sultan actuel, Abdul-Hamid est, dit-on très actif et s’occupe de tout. Son intention est bonne ; mais, bien qu’intelligent, il manque du fondement le plus indispensable ; l’éducation première. Comme tous les Sultans, il a été, avant de monter sur le trône, tenu à l’écart, espionné ; peut-être même la jalousie de ses prédécesseurs a-t-elle mis plus d’une fois ses jours en danger. Il n’est donc pas préparé à occuper utilement sa position et à y faire valoir les talents naturels qu’il peut posséder. Puis, que peut faire un souverain qui n’a comme instrument qu’une administration entièrement gangrenée à quelques personnalités près[1] ?

Outre la corruption à l’intérieur, l’administration turque est minée par l’influence corruptrice de la Russie qui cherche à gagner les hauts fonctionnaires, et y procède avec le plus grand cynisme. J’ai connu à Constantinople un Européen, occupant un poste très important dans l’armée. Les Russes tentèrent vainement de le gagner à prix d’argent ; ils s’adressèrent alors à sa

  1. Les Reschid, les Ali, les Fuad voulaient sincèrement le progrès ; mais pouvaient-ils réussir sans l’appui quotidien, sans la collaboration active d’agents capables, voués à leur cause ? Ceux dont ils s’entouraient par nécessité qu’étaient-ils le plus souvent ? De prétendus élèves des écoles occidentales, natures équivoques, indifférentes, corrompues, qui, à de rares exceptions près, n’avaient rapporté de leur contact avec la civilisation qu’un scepticisme inintelligent et le sentiment de leur infériorité relative, doublé de toutes les haines que leur inspirait la supériorité européenne. Engelhardt, La Turquie, 234.