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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

Victor embrassa son père en lui disant : « Je compte que vous aurez soin de vous. Évitez les rhumes. — N’aie pas peur ; donne-nous de tes nouvelles quand tu pourras, » répondit le père en ôtant ses lunettes et en prenant un volume de Walter Scott qu’il lisait alternativement avec quelque ouvrage de métaphysique. Une vieille servante fondait en larmes. Victor descendit l’escalier un peu plus vite qu’à l’ordinaire. Lorsqu’il fut installé dans la malle-poste de Brest, il me prit la main et me dit d’une voix aussi ferme qu’il put : « Vous irez le voir souvent… » Il était si jeune, sa santé me semblait si robuste, il y avait en lui un si heureux mélange de détermination et de prudence, que pas un pressentiment sinistre ne me vint à l’esprit.

Cette insensibilité de commande, qui, d’ailleurs, ne faisait illusion qu’à ceux qui ne le connaissaient pas intimement, était beaucoup plus apparente dans sa conversation que dans ses lettres. Le contraste m’a souvent surpris. Mais d’abord Jacquemont ne s’est jamais douté que ses lettres seraient lues par d’autres que ses amis. Devant une feuille de papier, il n’avait pas l’inquiétude de surprendre un sourire ironique répondant à un mouvement de sensibilité. Seul, il n’avait plus de mauvaise