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IVAN TOURGUÉNEF.

rents vingt-quatre petits poëmes égaux chacun à un chant de l’Iliade, serait-il toujours le prince des poëtes ? Pourtant on est en général très-exigeant pour une composition de médiocre étendue, tandis qu’Horace permet de s’endormir un peu au milieu d’un long ouvrage. Au contraire, il faut que tous les vers d’un sonnet soient excellents… À tout prendre, je crois que le danger d’un sujet trop resserré consiste dans le soin trop minutieux qu’on apporte toujours, peut-être fatalement, à un semblable travail. Involontairement on est entraîné à traiter maint détail de médiocre importance avec trop de recherche, et à racheter par la finesse de l’exécution le manque d’ampleur dans la donnée choisie. On risque alors de ne plus voir la nature que par ses petits côtés, et on manque le but de l’art, comme ces peintres qui, dans leurs tableaux, rendent les accessoires avec tant de perfection, que l’attention du spectateur s’y porte et néglige les figures principales.

J’essayais de montrer, il y a quelque temps[1], comment la richesse admirable de la langue russe était un écueil pour les écrivains qui la manient, et cet écueil, M. Tourguénef ne l’a pas toujours

  1. Voir l’étude sur Alexandre Pouchkine, page 297.