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IVAN TOURGUÉNEF.

révolutionnaire ni tomber dans des exagérations dont le résultat serait de dégoûter le lecteur au lieu de le convaincre. Après lui, une femme de beaucoup de talent, qui a pris le pseudonyme des Vovtchko (le louveteau), a écrit quelques nouvelles sur des sujets du même genre, dans le dialecte de l’Ukraine. Je ne les connais que par une traduction russe qu’en a donnée M. Tourguénef. Les couleurs sont tellement sombres, que le tableau est repoussant. Il peut être vrai, je le crains, mais on aime à le croire faux, et il excite encore plus l’horreur que la pitié. En parlant de quelque situation terrible, on dit en Corse : « Si vuol la scaglia. » Cela demande la pierre à fusil. Tel est le sentiment qu’on éprouve en lisant la première nouvelle de ce recueil, la Fille du Cosaque. La manière de M. Tourguénef est bien différente. Sa modération, son impartialité, le soin qu’il a de céler ses propres convictions, comme un juge qui résume les débats, donnent à ses récits une puissance que la plus éloquente déclamation n’atteindra jamais. Empreints d’une poésie douce et triste, ils laissent une impression plus durable que l’indignation soulevée par les nouvelles de Vovtchko.

On sait que tous les peintres qui ont excellé à repré-