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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

La forme qu’elles prennent est adoucie, ou, si l’on veut, usée, comme une monnaie qui circule depuis longtemps. Dans le monde, voire dans le demi-monde, on ne voit plus guère de Macbeth ni d’Othello ; pourtant il y a toujours des ambitieux et des jaloux, et les tortures qu’éprouve Othello avant d’étrangler Desdemone, tel bourgeois de Paris les a endurées avant de demander une séparation de corps. J’ai connu un commis qui n’a pas vu sans doute dans une hallucination diabolique « un poignard dont le manche s’offrait à sa main, » mais il avait sans cesse sous les yeux un fauteuil de chef de bureau à clous dorés, et ce fauteuil l’a poussé à calomnier son supérieur pour obtenir sa place. C’est dans « ces drames intimes » comme on dit aujourd’hui, que se complaît et excelle le talent de M. Tourguénef.

Son premier ouvrage, les Souvenirs d’un Chasseur, suite de nouvelles ou plutôt de petites esquisses pleines d’originalité, a été pour nous comme une révélation des mœurs russes, et nous a donné tout d’abord la mesure du talent de leur auteur. Je ne crois pas exagérer en disant que ce livre a eu sa part d’influence et sa part considérable dans la grande mesure qui a illustré le règne d’Alexandre II, l’af-