Page:Mérimée - Portraits historiques et littéraires (1874).djvu/345

Cette page a été validée par deux contributeurs.
337
ALEXANDRE POUCHKINE.

bride sur cette place effrayante ? Qui peut siffler ainsi ? quelle est cette voix colère qui s’élève au milieu de la nuit ? C’est un hardi Privilégié. Il a hâte, il court à un rendez-vous d’amour, et le désir lui brûle le cœur. — « Allons, mon fier cheval, mon fidèle coursier, vole comme la flèche ! Plus vite, plus vite ! » Mais le cheval effrayé secoue sa crinière tressée et se piète. Dans l’ombre, parmi les poteaux, se balance un cadavre suspendu à une traverse de chêne. Le cavalier allait se lancer dessous, quand le cheval effarouché se cabre sous le fouet, ronfle et se rejette en arrière sur ses jarrets. — « Qu’as-tu, mon bon cheval ? De quoi as-tu peur ? Ne sommes-nous pas allés là-bas fouler durement, dans une vengeance de terrible colère, les traîtres ennemis du tsar ? Leur sang a teint les sabots d’acier. Ne les reconnais-tu pas à présent ? Allons, mon brave coursier, en avant ! vole !… » Et le cheval, à bout de résistance, passe comme un ouragan sous le cadavre.

Je terminerai par une pièce d’un tout autre caractère qui, de même que l’Antchar, a eu le malheur d’être prise par la censure pour un dithyrambe révolutionnaire. Aujourd’hui l’une et l’autre sont imprimées dans toutes les éditions récentes de Pouchkine. Elle est intitulée le Prophète.