Page:Mérimée - Portraits historiques et littéraires (1874).djvu/344

Cette page a été validée par deux contributeurs.
336
PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

nik, qui avait été donné aux gardes du tsar Ivan IV, ministres ordinaires de ses cruautés.

« Quelle nuit ! Une âpre gelée[1]. Au ciel, pas un nuage. La voûte bleue semble une courtine brodée, étincelante d’étoiles innombrables. Dans les maisons, silence absolu. Les portes sont assurées par des barres et de lourds cadenas. Partout repose le peuple ; tout s’est tu, jusqu’aux rumeurs et aux bruits des artisans. À peine entend-on la garde du tsar qui fait la ronde, et aussi un lointain bruissement de chaînes.

» Et Moscou s’abandonne au sommeil, oubliant les souleurs de l’effroi. La place, dans l’obscurité de la nuit, est encore pleine de la justice d’hier. Partout les traces d’une récente boucherie. Ici des corps hachés en pièces, là des poteaux, des fourches, des chaudières pleines de poix refroidie ; plus loin des billots renversés. Des griffes de fer se hérissent sur des piliers. Ceci c’est un tas de cendres mêlé d’ossements ; sur des pals aigus des cadavres noircissent à la gelée, roidis dans leurs dernières convulsions.

» Qui vient là ? À qui ce cheval lancé à toute

  1. Je n’ose dire, comme le russe, craquante.