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ALEXANDRE POUCHKINE.

lement que Pouchkine, personne n’entremêle plus agréablement la satire hardie, mais honnête, aux observations justes et fines de mœurs et de caractères ; personne enfin n’effleure avec plus de discrétion des situations qui, sous une plume moins habile, alarmeraient les lecteurs les moins timorés. Pourtant il y a partout des personnes aussi ingénieuses que la prude de Molière pour apercevoir dans un livre bien des intentions scandaleuses que l’auteur lui-même n’a pas eues. Les ennemis de Pouchkine lisaient, entre les lignes de ses poëmes, une foule de choses impies, immorales, révolutionnaires. Il est étrange que ceux qui déclament à tout propos contre les vices de leur siècle, s’attaquent avec tant d’acharnement aux ouvrages des auteurs qui n’ont pas une meilleure opinion qu’eux de la nature humaine. En vérité, les gens de lettres sont dans une position bien difficile. Peignez les vices, les faiblesses, les passions des hommes, on vous accusera de vouloir pervertir vos contemporains. Vous aurez beau faire emporter Don Juan par le diable, on croira que vous prêchez l’irréligion. Jadis le cœur humain tout entier appartenait aux poëtes ; aujourd’hui on fait des réserves. Il y a mainte passion dont l’étude est interdite ; l’amour, par exemple, qui est souvent