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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

un peu méprisante d’un voyageur européen qui aborde dans une île de sauvages. Pour traiter le merveilleux au xixe siècle, l’Arioste n’est pas, à mon avis, le guide qu’il faut prendre. C’est à lui pourtant que s’attacha Pouchkine. Quelques années auparavant, un homme de beaucoup d’esprit, Beckford, avait commis la même erreur. C’était l’homme de son temps qui savait le mieux l’arabe et qui avait étudié le plus à fond toutes les traditions de l’Orient. Il a versé son immense savoir dans son roman de Vathek ; mais, au lieu de donner à son œuvre la forme grande et sérieuse dont elle était digne, il conte dans un style badin, pastiche très-habile de Hamilton, les plus sombres et les plus terribles légendes qu’ait inventées l’imagination orientale. Pouchkine, dans Rousslan et Lioudmila, est un épicurien incrédule qui ne sait pas garder son sérieux en débitant ses contes. Il ne nous montre ses géants qu’habillés en Croquemitaine, et dès qu’ils ne font plus peur, ils ont perdu presque tout leur mérite. Il conduit son héros par une nuit obscure au milieu du steppe, devant un de ces tumulus antiques nommés kourgânes, qu’a laissés dans les plaines de la Russie une nation inconnue. Tout à coup le cheval de Rousslan s’arrête, hérissant sa cri-