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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

ler que Saint-Pétersbourg, qui tire ses modes de Paris, est toujours un peu arriéré, en sorte que le poëme impie de Pouchkine trouva des lecteurs à une époque où un pareil ouvrage eût paru en France du plus mauvais goût. Il plut aux adeptes de la philosophie sensuelle que la cour de Catherine II avait introduite dans le grand monde. Pourtant déjà on commençait à s’amender. Pour combattre la révolution, on avait demandé à la religion des armes nouvelles. Les vieilles aristocraties avaient compris qu’il fallait montrer un peu d’austérité, en paroles au moins, et elles commençaient à confondre dans le même anathème l’impiété et le jacobinisme. La Gavriliade valut à son auteur le renom de révolutionnaire, outre celui d’homme immoral, un peu moins dangereux en Russie que le premier. Pendant toute sa carrière, il subit la peine de cette première polissonnerie d’écolier. Condamné d’avance par les dévots et par ceux qui avaient intérêt à passer pour tels, il laisse voir dans ses ouvrages une irritation haineuse contre la société, dont le premier jugement à son égard n’avait pas été fort injuste, il faut en convenir.

Il obtint un succès plus légitime et dont il n’avait pas à rougir, en publiant vers 1820 le poëme de