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CERVANTES.

tirades. Rarement les Espagnols se sont attachés à peindre des caractères : en général, ils cherchent à frapper par la singularité des événements, plutôt que par les passions qui les ont causés.

Tels sont les défauts de Cervantes : on voit qu’ils sont surtout ceux du temps où il vivait. Mais, toutefois, Lope de Véga et Caldéron ont prouvé qu’ils savaient réunir, quand ils le voulaient, une intrigue attachante à des caractères fortement tracés[1].

Il est assez curieux d’observer que plusieurs poëtes, fameux par leurs infractions aux unités, Lope[2] et Cervantes entre autres, les ont défendues de toute manière, excepté par leur exemple. Comme les rhéteurs anciens étaient alors encore bien plus respectés et lus qu’ils ne le sont maintenant, il est probable que Lope et Cervantes ont voulu ménager les érudits, tandis que, dans l’occasion, leur génie les emportait et leur faisait oublier ces beaux préceptes. C’est en vain que l’on alléguera le mauvais goût du temps, et l’envie de plaire au public. Lope et Cervantes, avant lui, ont fait leur public, et le premier surtout, entouré, à son début, d’une im-

  1. Voir Fuente Ovejuna, el Medico de su honra, el Alcade de Zalamea, el Magico Prodigioso, etc.
  2. Voir son Art poétique.