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CERVANTES.

vers dans l’art dramatique ? nous qui voulons réunir les plaisirs d’un drame à celui d’une tirade poétique ? Nos monotones alexandrins, notre rime encore plus monotone, remplacent assez bien le style culto de Lope et de Caldéron. La passion veut toujours le mot propre, fût-il vulgaire, et la distinction impérieusement exigée chez nous entre les mots poétiques et ceux qui ne le sont point, ne produit-elle pas souvent des contre-sens aussi ridicules que les pointes dont nous venons de parler ? En un mot, un dialogue en vers, ou en style culto, voilà deux conventions, toutes deux ennemies de la vérité ; l’habitude que nous avons de l’une, peut seule nous aveugler sur son étrangeté.

Ces obstacles, qui proviennent des vers ou du style culto, le génie les surmonte. Mais le langage ridicule, qui lui est commun avec tous les tragiques espagnols, n’est pas le seul défaut de Cervantes. On lui en reproche un autre qui tenait à un système alors reçu généralement, et qu’il a poussé à l’extrême. Je veux parler des imbroglios et des coups de théâtre accumulés, qui ne laissent pas de place au développement des caractères. Sans chercher à profiter d’une situation intéressante, il passe rapidement à une autre indifférente, avant d’avoir achevé toute